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jeudi 1 mars 2012

Beat Hôtel

Si l’étroite rue Gît-le-Coeur, qui descend vers la Seine, reliant la rue Saint André des Arts au quai des Augustins, n’a pas beaucoup changé au cours des dernières décennies, par contre le bâtiment situé au n° 9, où se trouve aujourd’hui Le Relais Hôtel du Vieux Paris, a lui refait plusieurs fois sa façade et ouvert ses portes à des clients qui ne sauront probablement jamais que cet endroit fut, entre 1957 et 1963, un lieu de grande effervescence littéraire. Nombre d’auteurs de la Beat Generation y ont longuement séjourné. Le Beat Hôtel était alors tenu par Madame Rachou et son chat Mirtaud. Celui-ci n’avait hélas pas assez de ses quatre pattes pour chasser tous les rats qui couraient dans les étages. Chaque résident pouvait cuisiner dans sa chambre et descendre se désaltérer au bar situé au rez-de-chaussée. Allen Ginsberg, Gregory Corso et Peter Orlovsky s’y installèrent fin 1957. William Burroughs arriva en janvier 1958. Peu après, Brion Gysin posa lui aussi ses valises. Lawrence Ferlinghetti, qui publiait la plupart d’entre eux aux États-Unis (éditions City Lights) passait de temps à autre, de même que Maurice Girodias qui dirigeait Olympia Press à Paris.


« De 1958 à 1963, c’est au Beat Hôtel – son foyer parisien – que la Beat Generation a connu sa période d’activité la plus intense. La plupart des membres fondateurs du groupe y ont vécu, à un moment ou à un autre. La seule figure importante de la Beat à n’avoir jamais mis les pieds rue Gît-le-Coeur est Jack Kerouac ».

Le grand absent reçoit néanmoins régulièrement des lettres le tenant au courant de ce qui se trame. Rencontres et expérimentions diverses se succèdent. Tous vont et viennent, travaillent, se lisent l’un l’autre ce qu’ils sont en train d’écrire. Kaddish de Ginsberg, une grande partie du Festin nu et de La Machine molle de Burroughs ainsi que Bomb de Corso naissent là. Gysin et Burroughs inventent le cut-up. L’arrivée de Ian Sommerville va leur permettre d’avancer un peu plus dans leurs expériences.

« Ian prit une chambre exigüe à l’étage du dessous qu’il décora avec une roue de bicyclette chromée sans le pneu. Des années plus tard, il expliqua que c’était un hommage à la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp. »

Si Gysin s’intéressait aux bandes magnétiques depuis leur invention à la fin de la seconde guerre mondiale, il avait par contre du mal à réparer son vieux magnétophone. Sommerville était un expert en la matière. Il le répara, l’utilisa pour enregistrer les premiers cut-up oraux. Tous deux coupaient des extraits de voix avant de les réenregistrer de manière aléatoire. Henri Chopin et Bernard Heidsieck qui travaillaient de leur côté sur la poésie sonore furent très intéressés et se joignirent à eux. C’est aussi Sommerville qui inventa la première « Dreamachine ».

« J’ai fait une machine à éclairs intermittents toute simple ; un cylindre en carton avec des fentes qui tourne sur un phonographe à 78 tours/minute avec une ampoule à l’intérieur. Il faut le regarder avec les yeux fermés et les éclairs jouent sur tes paupières. »

Les poètes de la Beat Generation ne cessèrent, durant leur passage à Paris, de créer des passerelles avec d’autres auteurs ou mouvements littéraires. Ils rencontrèrent Tzara, Péret, Lebel. Firent la connaissance d’Henri Michaux qui ne se rendait rue Gît-le-Coeur que pour parler mescaline avec Burroughs dans sa chambre... Le jazz n’était jamais loin. Le batteur Kenny Clarke, qui les connaissait bien, les invitait, dès qu’il le pouvait, à assister à ses concerts. Il leur ouvrit les sous-sols de “Chez Popov” et du “Caveau de la Huchette”.

Ce sont ces années d’intense création que Barry Miles retrace dans Beat Hôtel. Cofondateur d’International Times, libraire, biographe de Ginsberg, éditeur à Londres de Howl, on lui doit également le classement des archives de Burroughs. Il a longuement côtoyé tous les auteurs présents. Au cours de plusieurs entretiens, menés sur une trentaine d’années, il a réussi à accumuler assez de matière pour construire un ouvrage important. Il montre, presque au jour le jour, anecdotes et citations à l’appui, ces poètes alors inconnus, à l’œuvre dans une ville où ils avaient choisi de s’exiler volontairement, fuyant un pays où leurs idées et leurs façons de vivre (la plupart étaient gays) étaient battues en brèche par une presse très puritaine.

 Barry Miles : Beat Hôtel, traduit par Alice Volatron, éditions Le Mot et Le reste.

jeudi 15 juillet 2010

Ultimes paroles

À la fin de sa vie, Burroughs, souffrant d’arthrite, ne peut plus taper à la machine. Ses proches décident alors de lui offrir des livres blancs. C’est grâce à eux, il en remplira huit au total, grâce à ces pages sur lesquelles il va noter, au jour le jour, durant un an et demi, de novembre 1996 à fin juillet 1997, à peu près tout ce qui constitue son quotidien, que va prendre forme cet ultime ouvrage.
Burroughs ne se contente pas de décrire ce qu’il vit. Il y ajoute ce qu’on lui connaît depuis toujours, sa hargne, ses pirouettes, ses ressassements, ses nouvelles idées, sa volonté de décrypter le mal, la bêtise et ce qu’il nomme "la conspiration internationale du mensonge", son humour cinglant, son amour des chats (Calico Jane, Fletch, Ruski, Ginger), ses détours - de mémoire - vers Tanger, Paris, Mexico, New York et la présence réconfortante de ses amis morts (Timothy Leary, Herbert Huncke, Brion Gysin) ou sur le point de quitter la scène (Ginsberg).

" 3 avril 1997. Jeudi. Allen Ginsberg est en train de mourir d’un cancer du foie. "Environ deux ou trois mois", lui disent les médecins, et lui, dit : "Moins, à mon avis".
Il dit : "Je pensais que je serais terrifié, au lieu de quoi je suis exalté". J’espère juste qu’il n’est pas submergé par des marques de tendresse étouffantes".

" 5 avril 1997. Samedi. Allen Ginsberg est mort (ce matin) ; paisible, sans douleur. Il avait raison. Quand les docteurs ont dit 2 à 4 mois, il a dit : "Moins, à mon avis". "

Durant ses dernières années, Burroughs vivait à Lawrence, Kansas, dans une rue calme. Ceux qui lui rendaient le plus souvent visite (James Grauerholz - son exécuteur testamentaire - qui signe la préface et les notes de ce volume, Tom Peschio, John Giorno, Jim MacCrary) trouvaient généralement un chat affalé près de la porte d’entrée. Ses journées étaient méthodiquement règlées. Il les passait à lire, à dormir, à recevoir. Prenait tous les matins sa méthadone et ne passait pas une nuit sans avoir, à portée de main, son fusil chargé sous les draps. On retrouve là, hors écriture, les deux passions qui n’auront jamais quittées l’écrivain : la drogue et les armes à feu. Le 29 juillet 1997, cinq jours avant sa mort, il participe à sa dernière séance de tir, à la ferme de son ami Fred Aldrich. Quant à la drogue, il s’y adonna jusqu’au dernier jour.
Suivre Burroughs dans ses Ultimes paroles (ensemble traduit par Mona de Pracontal), c’est aussi côtoyer tous ceux, proches ou pas, qui l’accompagnent en permanence. Shakespeare et Conrad sont fréquemment évoqués. Verlaine également ("Mon passé fut un fleuve maudit"). De même Robert Filliou, Maurice Girodias, Brion Gysin.

" Le chagrin est une émotion de base, comme la joie et la guerre - la pure volonté de tuer. Je les ai tous connus. Et tout ceci je le dois à un seul homme - Brion Gysin. Le seul homme que j’aie jamais respecté. "

Le regard de l’écrivain sur ce qui l’entoure (notamment la politique américaine, les racismes, les discriminations, la guerre au Rwanda) en ces années 1996 et 1997 est vif et acerbe mais sans illusion. À 83 ans, il sait que continuer à vivre, garder sa colère intacte, écrire, lire, réfléchir, revenir sur certains détails de son œuvre et de sa vie, tout cela demande déjà beaucoup d’énergie et qu’il vaut mieux ne pas en rajouter.

« Je m’appelle William S. Burroughs. Je suis un humble praticien du métier de scribe, un sergent-major de l’Escadron Shakespeare. »

William Burroughs : Ultimes paroles, collection Titres, éd. Bourgois.