Au bar de l'Oubli

À l'intérieur, une lumière bleutée, légèrement vaporeuse, enveloppait la salle et les deux pièces attenantes qui se faisaient face, de part et d'autre de l'axe central, ressemblant à de petites chapelles. S'y serraient des buveurs désireux d'étancher leur soif en comité restreint. Les fenêtres et les hublots s'ouvraient sur le grand large. Il y régnait un beau tumulte. Il n'y avait ni musique ni écran mais des voix, des vies et des corps en mouvement. Les hommes et les femmes postés au bar lui tournaient le dos. D'autres discutaient assis autour des tables en passant commande aux serveurs et serveuses qui distribuaient canettes, demis, pintes et pots de bière sans discontinuer. Les néons étincelants, le cuivre patiné du comptoir, le scintillement des pompes et les rayonnages en bois, emplis de bouteilles de trente-trois centilitres issues d'innombrables brasseries artisanales, lui avaient d'emblée sauté aux yeux. Il s'installa sur un tabouret, reprit son souffle et opta par une pils tchèque au houblon très épicé. Ce n'est qu'après avoir écrémé, du bout des lèvres, en y mettant la langue, la mousse onctueuse qui se craquelait sous la pression du gaz carbonique, qu'il se décida à lever la tête et à ouvrir grand ses écoutilles.  (extraits)

Jacques Josse : Au bar de l'Oubli et autres textes, Éditions Le Réalgar, avril 2025 

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