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lundi 3 mars 2025

La branche ne se brisera pas

Peu connu en France, où on ne l’avait jusqu’alors croisé que dans de rares revues (dont Po&sie et Muscle), James Wright (1927-1980) a durablement marqué la poésie américaine des années 1950, 60 et 70. Il fut, aux côtés de Robert Bly (1926-2022) et de Louis Simpson (1923-2012), l’un des piliers du magazine Sixties, participant à presque tous les numéros en tant qu’auteur, critique littéraire ou traducteur (de Trakl, de Neruda, de Vallejo, de Miguel Hernandez et de bien d’autres).

Né à Martins Ferry dans l’Ohio, il a vécu son enfance durant la grande dépression. Son attachement au lieu, plus généralement au Midwest, qu’il sillonnera longuement, et le rude quotidien des classes populaires dont il est issu, imprègnent ses textes. Son père y est souvent évoqué.

« Mais maintenant, la nuit, mon père traîne dans les files
De la soupe populaire, et je ne le trouve pas : Si éloigné,
1500 miles ou plus, et pourtant
Je peux difficilement dormir.
Vêtu de haillons bleus il boîte jusqu’à mon lit,
Guidant un cheval aveugle
Avec douceur.
En 1932, sali par les machines, il me chantait
La berceuse de la petite gardeuse d’oies.
Devant la maison, les terrils attendaient. »

Ses poèmes imagés, dynamiques, subjectifs par à-coups, sont dédiés aux invisibles, aux vagabonds, aux fermiers, aux ouvriers, plus particulièrement aux mineurs, (son père était l’un d’entre eux), dont beaucoup meurent lors d’explosions souterraines qui ne leur laissent aucune chance.

« La police recherche ce soir les corps
D’enfants dans les eaux noires
Des banlieues. »

Les paysages environnants, ancrés en lui depuis toujours, font partie intégrante de sa poésie. Les hauts-fourneaux, les fosses des mines à ciel ouvert, les plaines du Midwest, les champs de blé ou de maïs, les bâtiments de fermes, les granges, les silos à grains et les chevaux au travail ou au repos constituent les éléments d’un décor fixé en quelques vers. Ils prennent place et bougent dans sa mélancolie. Celle-ci affleure régulièrement. Exacerbée par l’empathie qui peut le faire chavirer en une seconde.

« Je suis effrayé par le chagrin
Des animaux qui fuient. »

Ces animaux se glissent dans nombre de ses poèmes. Là, ce sont "des juments blanches attelées à de maussades chariots", ici, "un geai bleu et brillant sautille sur une branche", là-bas, "De petites antilopes / S’endorment dans les cendres / De la lune", ailleurs, "Un hibou s’élève / De la barre de coupe / D’une faucheuse."

« Un vieux fermier, son visage écarlate
Trahissant le whisky, fait pivoter la porte d’une grange
Et appelle une centaine de Holstein noires et blanches
Dans le champ de trèfle. »

Les morts, ses amis disparus et les hommes ensevelis sous des blocs de charbon, apparaissent fréquemment dans ses textes. Il imagine leur retour, les invite à faire un bout de chemin avec lui, à boire, jusqu’à s’enivrer parfois, et à tester leur équilibre en marchant de nuit au bord des tombes.

« D’un simple toucher de ma main,
L’air se remplit de créatures délicates
De l’autre monde. »

La branche ne se brisera pas est le premier livre de James Wright traduit en France. Belle occasion de découvrir enfin la voix ferme et l’univers sensible d’un poète (lauréat du prix Pulitzer en 1972) que l’on ne peut rattacher à aucune école. Et c’est bien mieux ainsi. Cette liberté assumée est sa force.

« Je suis allé de l’avant
Avec certains, quelques rares solitaires.
Ils ont sombré dans la mort.
Je meurs avec eux. »

James Wright : La branche ne se brisera pas suivi de Allons nous rassembler à la rivière, traduit de l'anglais (États-Unis) par Christian Garcin, éditions Le Réalgar, collection Amériques.