Fils de paysans colombiens, Luis Ernesto Valencia (1958-1968) n’alla jamais à l’école, fit une fugue à six ans, longea la voix ferrée, se loua un temps dans une ferme et reprit rapidement la route pour rejoindre Cali, où il erra longuement, avec d’autres enfants des rues, avant d’être recueilli, deux ans plus tard, par le poète et romancier Elmo Valencia (1926-2017), l’un des membres d’un courant artistique d’avant-garde et de contre-culture alors en pleine effervescence, les nadaïstes, dont le premier manifeste a été publié à Medellín en 1958 et traduit en français en 2019 (Éditions La Passe du vent).
« C’était un enfant de la campagne qui arriva en ville et rencontra l’irrationnel nadaïsme. Nous lui apprîmes tous quelque chose, jusqu’à en faire une bombe à retardement. Il partagea pendant deux années l’amour et la fureur de nos actions. », écrit Jotamario Arbeláes, autre figure du groupe.
Luis Ernesto ne mit pas longtemps à s’intégrer à sa nouvelle famille et à s’initier à ce courant littéraire qui collait bien à sa joie de vivre, à sa spontanéité et à son aptitude à s’exprimer oralement, en improvisant ou en chantant. Les poèmes (écrits au fusain sur les murs de sa chambre) sont ceux d’un gamin de son âge qui a appris à lire et à écrire sur le tas et qui bénéficie d’un environnement propice à la création. Il y évoque ses héros du moment : Tarzan, Le Petit Prince, King Kong, Batman, Che Guevara, Fidel Castro, Mohammed Ali.
Celui que ses amis poètes surnommaient le Gigolo des Dieux va hélas devenir une étoile filante. Il meurt renversé par le véhicule d’un fabricant de glaces en 1968. Il avait dix ans et traversait l’Avenue Colombia lorsque « Arne Krag et sa ferraille de course laissèrent son âme en queue de poisson » ( Jotamario Arbeláes).
Sa « minuscule œuvre complète » comprenait une vingtaine de poèmes que ses proches recopièrent pour les distribuer autour d’eux. L’une de ces copies, tombée, dix-neuf ans plus tard, entre les mains du peintre Omar Rayo (1928-2010), sera publiée par le musée de Roldanillo (ville natale du peintre).
Près des poèmes, prennent place, dans l’émouvant livre-hommage préparé par la librairie La Brèche et par les Éditions Pierre Mainard, les souvenirs de quelques membres du mouvement nadaïste. Tous disent combien la personnalité de ce météore les a marqués.
« Ses mots étaient l’huile des neurones oxydés des cerveaux qui martèlent ;
son rire était la substance distillée par le champignon qui fit pousser si haut le cou d’Alice ;
son regard était le dessin du mot Souvenir sur la bouche du Loir de la cafetière. »
Armando Romero, Pittsburg, 1969
« Des centaines d’enfants de Cali nous accompagnèrent au cimetière avec des fleurs et des pancartes pour le « Colibri », qui était son nom de chanteur, pour le « Gigolo des Dieux » qui était son nom de poète, pour Luis Ernesto Valencia, qui était son prénom et son nom de famille adoptif, jusqu’à ce que les temps s’effacent et que nous avale la terre de cette planète que nous ne pûmes conquérir ». Jotomario Arbeláes
Luis Ernesto Valencia : Le Gigolo des Dieux, édition bilingue, poèmes, photos et témoignages, présenté par J. Arbeláes, traduit de l’espagnol par Boris Monneau, Librairie La Brèche et Pierre Mainard.