Journal d'absence

C’est l’été. L’auto grise monte la route du bourg. Elle sort d’un virage au ralenti. Louis, caché dans l’angle mort de l’étable, s’avance et la regarde venir. Elle épouse les extérieurs en mordant légèrement sur la berme. Deux cents mètres la séparent de la ferme. Louis ôte sa casquette. Il murmure quelques bribes. Demande aux deux enfants qui passent leurs vacances avec lui - gobant au passage les exploits, rixes et déconvenues de ses anciennes escales salées dans les ports du monde - de le rejoindre derrière le tas de fumier qui fume au soleil, à l’entrée de la cour. C’est leur premier cortège funèbre. L’endroit, pour voir sans être vu, est idéal. Ils visent les vitres teintées. Devinent du bois et des fleurs. Connaissent la vieille qui est allongée dans la caisse. Elle s’appelle Emma. Un jour qu’elle avait bu, elle leur a montré ses seins – deux figues sèches et cuivrées – sur lesquels elle tirait fort en déclarant qu’avant c’étaient de vrais obus et que les cinq rejetons, tous devenus des colosses et des durs à cuire, qui s’y étaient abreuvés à tour de rôle, pouvaient à juste titre leur dire merci.