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vendredi 21 février 2014

Orgasme à Moscou

1972. Interrogatoire serré dans le bureau de Nino Pepperoni, le patron de la mafia new-yorkaise. Il veut savoir qui a pu mettre enceinte sa fille Anna Maria qui vient de rentrer d’un long voyage journalistique à Moscou. Pour lui, pas de doute, ce ne peut être que le "camarade" Brejnev ou, à défaut, Kossyguine puisque c’était pour les interviewer tous les deux qu’elle s’était envolée pour l’U.R.S.S. Détails à l’appui, il apprend bientôt que le futur père n’est ni l’un ni l’autre mais tout simplement Sergueï Mandelbaum, dissident juif fauché qui a jadis travaillé dans l’armement et qui n’a, pour cette raison, plus le droit de quitter le pays. Anna Maria ajoute que cet homme a fait d’elle une femme en lui procurant son premier orgasme. « Orgasme ? Kezako ? » Pepperoni découvre le mot en même temps que sa signification. Il en informe sa femme qui, elle non plus, n’en a jamais entendu parler.

« Pour un authentique Sicilien tel que Nino Pepperoni, un homme très à cheval sur la morale, il y a deux moyens de régler son compte au séducteur de sa fille : le buter ou lui faire épouser Anna Maria. »

C’est la seconde solution qui est adoptée lors du conseil de famille qui s’en suit. Pour cela, pour que Mandelbaum traverse sans problèmes le rideau de fer , le chef de la mafia, aidé de son fidèle avocat et conseiller Archibald Seymour Slivovitz vont se payer les services du passeur le plus célèbre de la planète, un nommé Sepp Karl Lopp, citoyen autrichien vivant à Mexico. Problème : celui-ci aime les hommes et serait, dit-on, adepte du dépeçage sexuel. Ce dernier point inquiète tout particulièrement Nino Pepperoni.

« Interpol recherche Lopp, dit Mr. Slivovitz. Mais Interpol est une organisation peu compréhensive envers les petites faiblesses humaines. Lopp n’est pas un mauvais bougre. Il est juste malade. Et on peut le guérir. »

Le traitement le plus rapide reste la castration pure et simple. C’est ce qui est décidé. L’illustre passeur ne devra jamais connaître le nom des commanditaires du guet-apens dans lequel il va tomber. L’opération sera pratiquée dans les règles de l’art par le docteur Benito Russolini, un ami de la famille. Une fois « guéri », Lopp pourra gagner Moscou l’esprit libre et mener à bien sa mission. C’est tout au moins ce qu’espèrent Pepperoni et Slivovitz.

L’affaire Mandelbaum est lancée. Un chauffeur en Cadillac jaune attend déjà S.K. Lopp à l’aéroport J.F.K.
Edgar Hilsenrath surveille tout cela de près. Ses yeux rieurs pétillent. Il mène tout ce beau monde là où il le souhaite. Avec malice et irrévérence. Il faut dire que l’auteur de Fuck America est ici en très grande forme. Il prend plaisir à s’amuser. Il détourne à sa façon le traditionnel roman d’espionnage. La verve, l’hilarité, la tension burlesque qui l’animent lui sont d’un précieux secours.
Il lui a fallu six jours, pas plus, pour concocter cette histoire ponctuée de rebondissements en séries. L’envers du décor (de la guerre froide, du rêve américain et de la mafia pimpante) lui sert de moteur. Il y ajoute une folie contagieuse. Y glisse des portraits plus vrais que nature. Ses personnages font des allers-retours mouvementés de l’Est à l’Ouest (et inversement) avec escales en Israël ou à Rome en en apprenant toujours un peu plus sur l’état fébrile du monde.

Hilsenrath revisite les années 70 à toute allure. Le grand théâtre loufoque qu’il met en forme et en scène (à coups de dialogues enflammés) est imparable et diablement réjouissant.


 Edgar Hilsenrath : Orgasme à Moscou, traduit de l’allemand par Jörg Stickan et par Sacha Zlberfarb, illustré par Hennig Wagenberg, éditions Attila.

jeudi 11 octobre 2012

Nuit

Mars 1942. L’homme qui était parti tenter sa chance ailleurs, revient, visage et corps ravagés par la faim et la misère, dans la ville en ruines de Prokov, en Ukraine. Il s’appelle Ranek. Ce retour n’est qu’un échec de plus. Il l’évacue sur le champ. Sa capacité à survivre lui interdit de se morfondre. Il peut, à la rigueur, rêver du passé et de ses parents mais à condition de rester sur ses gardes, en se sachant pris dans les filets d’une réalité qui le dépasse et à laquelle il doit s’adapter en ne lâchant jamais rien. Pour l’heure, son cerveau fonctionne et calcule. Il lui faut un refuge avant la nuit et le début des inévitables rafles, ce qui l’oblige à rejoindre le plus rapidement possible un ghetto qu’il connait bien. Ayant été l’un des premiers déportés, il était déjà présent sur place, lors de sa création, en octobre 1941.

« Il se souvenait qu’ici, au début, la vie avait été plus facile. À l’époque, il faut dire, le ghetto n’était pas aussi surpeuplé. À l’époque encore, parmi les habitants, les luttes les plus acharnées avaient lieu pour un quignon de pain. C’est seulement plus tard, avec ces convois humains arrivant sans cesse de Roumanie, qu’il avait fallu se battre pour dégoter une place où dormir. Lutte tout aussi acharnée et brutale. Et tout aussi vitale. »

Le premier endroit vers lequel il se dirige est le dortoir où il logeait avant de partir. Il y découvre une pièce silencieuse, plongée dans la pénombre, pleine de corps couchés sur une longue estrade transformée en couchette collective. Presque tous ceux qui reposent là sont morts du typhus. Les derniers vivants sont à l’agonie et ne bougent plus. Seule une place est encore vide : la sienne. Il sait qu’il ne pourra pas s’y installer, sous peine d’être à son tour contaminé. Il n’a que le temps de s’emparer du chapeau et des chaussettes russes de celui qui fut jadis son meilleur ami avant de sortir en longeant les rues désertes.

De temps à autre, il passe devant un mort qui git sur le trottoir ou dans un caniveau. Il ne s’arrête que pour regarder s’il y a quelque chose à prendre sur le cadavre. Dans la poche d’un pantalon souillé par les excréments, il trouve un reste de cigarette dont il s’empare. Le pantalon est trop sale pour être enlevé et proposé ensuite au marché noir. Presque tous les gisants sont déjà dépouillés de leurs vêtements. Il continue sa route vers une ruine qui tient à peine debout et qui, baptisée « asile de nuit », lui a auparavant également servi de refuge. Ici aussi, le premier homme qu’il voit est atteint du typhus. Il est recroquevillé sous l’escalier, à l’écart du dortoir, situé à l’étage, où dorment ou geignent ceux que la maladie n’a pas encore touchés. C’est là que Ranek va trouver ce qu’il cherche, obtenant, après bien des négociations, la place laissée vacante par celui que l’on a poussé dehors et qui est en train de mourir à l’entrée.

« Il se réveilla. Il devait être minuit, par là.
Les rafles avaient repris depuis un moment. Du dehors parvenaient les bruits familiers auxquels son oreille s’était accoutumée et qu’il arrivait à distinguer un à un. Ça semblait venir de très loin ; il tendit l’oreille, sans savoir si les hurlements provenaient de la rive du fleuve ou de la Pouchkinskaïa. Ranek pensa furtivement aux gens qui couraient à pas lourds dehors dans la nuit, aux rires des traqueurs et aux criaillements des femmes, aux yeux angoissés des enfants et à tous les autres qui n’arrivaient plus à avancer dans la boue et s’effondraient sur le bord du chemin. Tant qu’il n’y était pas, il s’en fichait. Il avait faim. C’est tout ce qu’il éprouvait. »

La vie à l’intérieur du ghetto de Prokov est une lutte permanente et féroce où chacun tente de sauver sa peau comme il peut. Tous ont faim et froid. Ils savent que leurs jours sont comptés et qu’il leur faut glaner de quoi se nourrir. Cela ne peut se faire qu’en acceptant le système de troc mis sur pied par ceux qui trafiquent avec les paysans ukrainiens ou avec les derniers riches circulant encore en ville, entre le café, le bazar, le bordel et la boutique du coiffeur. Roublard et déterminé, bien que tombant souvent sur de plus roués que lui, Ranek ne se pose pas plus de questions que les autres. Comme eux, il se débat avec l’innommable. Voler les chaussures d’un agonisant ou défoncer à coups de marteau la bouche de son frère qui vient de mourir pour en extraire une dent en or fait, certes, trembler et vaciller son corps décharné mais atteint à peine sa pensée. L’instinct de vie s’avère plus fort que la morale et la dignité. Dans le ghetto, tout se paie. Il n’est pas simple de gagner une poignée de haricots ou quelques épluchures de pommes de terre. Les hommes et les femmes qui errent dans cette nuit totale ne sont que des ombres égarées. Parfois certaines s’accouplent. Leurs caresses restent furtives. La pudeur n’existe plus. Tous fréquentent la même longue planche sale, glissante et trouée en plusieurs endroits qui leur sert de latrines. Quand l’un, trop faible, tombe dans la fosse, personne ne peut le repêcher et tous continuent de faire leurs besoins sur lui jusqu’à ce qu’il s’enfonce inexorablement...

« Chaque matin, c’était le même tableau. Brouhaha et puanteur. Les uns, assis, s’épouillaient, les autres mangeaient quelque chose en cachette, d’autres ronflaient encore d’épuisement et même le pire boucan ne pouvait les réveiller. Quelques lève-tôt, pas lavés, titubaient jusqu’aux latrines et revenaient peu après. La porte claquait sans cesse. »

Nuit est le premier roman de Edgar Hilsenrath. C’est cet ensemble qu’il évoquait dans Fuck America. Il parlait alors de l’écriture et de la conception d’un grand livre à venir qui lui prenait tout son temps et à travers lequel il voulait raconter, avec précision, de façon très crue, sans jamais nommer les vrais bourreaux, (les nazis, effectivement invisibles), l’enfer qu’il a lui-même vécu de 1941 à 1945 à l’intérieur de ce ghetto ukrainien. Il aura mis dix ans à venir à bout de cet ensemble de 550 pages réécrit une vingtaine de fois. Publié en 1963 en Allemagne, l’ouvrage, rapidement épuisé, puis auto-censuré par son éditeur, connut ensuite un grand succès aux États-Unis. Considéré comme le chef d’œuvre d’Hilsenrath, il n’avait curieusement jamais été traduit en Français.


 Edgar Hilsenrath : Nuit, traduit par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb, couverture de Hennig Wagenbreth, éditions Attila.


dimanche 29 avril 2012

Le Nazi et le Barbier


Après avoir publié Fuck America, désormais disponible en poche (Points Seuil), les éditions Attila ont publié en 2010  Le Nazi et Le Barbier, un nouveau livre d’Edgar Hilsenrath, qui vient également de sortir en poche. Ce roman est aussi enlevé, décapant, saisissant, burlesque et effrayant que le précédent.
Hilsenrath ne tourne jamais longtemps autour du pot. Il ouvre son livre en évitant tout préambule. Celui qui va prendre la parole et la garder ou la distribuer durant 500 pages s’appelle Max Schulz, « fils illégitime mais aryen pure souche de Minna Schulz. »

Né en mai 1907, il a cinq pères présumés et un beau père barbier et violeur d’enfants. Il passe ses premières années à Wieshalle, dans les rues Goethe et Schiller où son meilleur ami, né le même jour que lui, se nomme Itzig Finkelstein. Lui aussi est fils de barbier. Tous deux, inséparables, empruntent les mêmes voies : même école, mêmes loisirs, même envie de devenir à leur tour garçons coiffeurs. Ce qui va les séparer, c’est l’arrivée au pouvoir de Hitler et la fascination que les idées du dictateur vont exercer sur Max Schulz.

« Hitler a parlé des esprits boutiquiers et des sangsues, de souillure et de conspiration ; il nous a expliqué que l’honneur était héréditaire, comme le courage et la fidélité ; il a parlé du complot de la juiverie internationale, qui tenait dans ses griffes l’honneur allemand, le courage allemand et la fidélité allemande en otage, les empêchant de se déployer. »

Dès 1933, Max devient fanatique. Il s’enrôle dans les SS. En 1938, il est aux premières loges quand brûle la synagogue de la rue Schiller. En 1939, il est en Pologne. Puis il part en Russie. Revient en Pologne. Est affecté au camp de concentration de Laubwalde où il reste jusqu’à la fin de la guerre. Là, il excelle, il joue, il tue avec zèle. Deux cents mille juifs sont assassinés. Dont Itzig Finkelstein, son ex meilleur ami. Qui disparaît en même temps que toute sa famille.

La première partie du livre de Hilsenrath s’achève ainsi. Il évoque la Shoah de façon très crue. En se mettant, lui qui a connu les ghettos durant la guerre, du côté des bourreaux. Les scènes décrites sont brèves et cinglantes. Tout se déroule sur fond d’alcool et d’idéologie primaire mais redoutable. Max Schulz ressemble parfois au brave soldat chveik. Il s’en démarque dès que sa roublardise le place du côté des génocidaires.

La suite du livre s’affirme tout aussi étonnante. Recherché par les alliés à la libération, Max Schulz va errer, se cacher, vendre au marché noir le sac de dents en or qu’il avait ramené du camp pour, bientôt, changer d’identité et réapparaître sous le nom d’Itzig Finkelstein. Il prend non seulement l’identité de son ami d’enfance mais épouse avec un certain allant la cause juive pour finir, après bien des péripéties, par partir s’installer en Palestine où il ouvre boutique, devient barbier célèbre et verse, à nouveau, dans le fanatisme.

« Après sa première action, le meurtrier de masse Max Schulz avait pris part à six autres opérations. Il avait dynamité un pont, fait dérailler un train, braqué une banque, attaqué deux casernes ainsi qu’un convoi de chars sur la route Tel Aviv-Jérusalem. »

Sa métamorphose ne l’empêche pas de craindre d’être un jour ou l’autre démasqué. Le temps passant, cela devient de plus en plus improbable. Et de fait, jamais Max Schulz, devenu Itzig Finkelstein, ne sera retrouvé. Les seuls qui connaissent son secret sont les arbres de " la forêt des six millions" avec lesquels, vieillissant, il va de plus en plus souvent dialoguer.

« Tu te feras prendre et tu seras pendu », dirent les arbres.

Je ris et dis : « C’est hautement improbable. La plupart des génocidaires courent toujours. Certains sont à l’étranger. La plupart sont retournés au pays, comme au bon vieux temps. Vous n’avez pas lu les journaux ? Ils se portent à merveille, les génocidaires ! Ils sont coiffeurs. Ou autre chose. Beaucoup ont leur propre commerce. Beaucoup possèdent des usines, sont de gros industriels. Beaucoup se sont remis à la politique, siègent au gouvernement, sont respectés, considérés, ont une famille. »

Écrit en 1972, Le Nazi et Le Barbier, a été publié aux États-Unis la même année. Il lui faudra attendre cinq ans avant d’être édité en Allemagne. Où le scandale qu’il déclencha fut suivi par un grand succès littéraire. Des vérités, pas toujours faciles à dire et à accepter, se cachent en permanence derrière la satire, la farce et les nombreux dialogues iconoclastes qui forment l’ossature du roman de Hilsenrath.


 Edgar Hilsenrath : Le Nazi et le Barbier, traduit de l’allemand par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb. Couverture de Hennig Wagenbreth, éditions Attila, 2010 et Points Seuil 2012.

jeudi 19 août 2010

Fuck America

New York, mars 1953. Un homme est attablé dans une cafétéria, au coin de Broadway et de la 86ième rue. Il s’appelle Jakob Bronsky. Il vient là tous les soirs. L’endroit est idéal. Pour se frotter aux autres déracinés et pour écrire le roman qui lui tient à cœur et qui lui permettra de restituer son parcours et son expérience du ghetto pendant la guerre. Il s’y est mis dès son arrivée aux États-Unis et le roman a déjà trouvé son titre : ce sera Le Branleur.

« Le héros est un homme. »
« Quel genre d’homme ? »
« Un homme solitaire. »
« Un branleur ? »
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
« Un homme solitaire, c’est toujours un branleur », dit Grünspan.
« Mais mon livre n’a rien à voir avec la branlette. C’est un livre grave. »
« Ça ne change rien », dit Grünspan. « Si c’est un homme solitaire, c’est un branleur. »

Vivant de peu, travaillant comme serveur ou gardien de nuit et gagnant ce qu’il faut (autrement dit le minimum) pour pouvoir ensuite consacrer le plus de temps possible à l’élaboration du Branleur, Jakob Bronsky quitte peu le quartier et le lieu où il a trouvé refuge au milieu des clochards, des prostituées et des paumés dont il se sent solidaire et qui restent, d’ailleurs, ses seuls complices. Il a néanmoins un avantage sur beaucoup d’entre eux : il croit à sa bonne étoile et n’a peur de rien. Son apparente petite taille ne le gêne pas du tout. Son vieillissement prématuré non plus. En réalité, il s’en fout. Seul importe le livre à écrire. Le livre et ses racines profondes. Qui ont à voir avec les visas d’immigration refusés à son père qui les demandait, dès 1938, au consul des États-Unis en Allemagne.

« Très cher Monsieur le Consul Général,
Depuis hier, ils brûlent nos synagogues. Les nazis ont détruit mon magasin, pillé mon bureau, chassé mes enfants de l’école, mis le feu à mon appartement, violé ma femme, écrasé mes testicules, saisi ma fortune et clôturé mon compte bancaire. Nous devons émigrer. Il ne nous reste rien d’autre à faire. Les choses vont encore empirer. Le temps presse. »

Le visa arrivera … douze ans plus tard, jetant Jakob Bronsky dans les rues de New York.

« Que fait Jakob Bronsky un samedi soir ? Il pourrait se rendre à Times Square, dans l’un des cinémas à deux sous, se taper une branlette. Il pourrait lever une petite pute. Il pourrait aller danser, au Roseland par exemple. Il pourrait se balader sur Broadway, entre la 72ième et la 96 ième rue, aller-retour.
Une fois la nuit tombée, Jakob Bronsky décide que le plus raisonnable, c’est d’aller à la cafétéria des émigrants. Là-bas, il pourra manger un morceau, pas cher et pas mauvais. »

Se débrouiller, satisfaire ses impérieux désirs sexuels, enrouler les chapitres et aller au bout de ses projets restent ses seules exigences. Il met tout en œuvre pour y parvenir. En se montrant malicieux, malin, hâbleur, roublard quand il le faut et en menant sa barque à bon port par gros temps.

Derrière ce héros littéraire (qui peut parler de lui à la première ou à la troisième personne avant de se tutoyer en se rudoyant), il y a évidemment celui qui s’est constitué ainsi un double imparable : Edgar Hilsenrath lui-même, né à Leipzig en 1926 et qui, émigré comme son personnage, a beaucoup écrit la nuit dans les cafétérias juives. Si la reconnaissance a tardé, elle est aujourd’hui incontestable. Pas seulement aux U.S.A. mais également en Allemagne (il vit à Berlin depuis de nombreuses années) où l’édition complète de ses œuvres a débuté aux éditions Dittrich en 2003. En France, deux livres, Le Conte de la pensée dernière (prix Alfred Doblin) et Le Retour au pays de Jossel Wassermann, sont disponibles en biblio-poche après avoir été publiés chez Albin Michel en 1992 et 1995.

Entre Jakob Bronsky et Edgar Hilsenrath, il y a la parenté, le dédoublement et la connivence que l’on trouve chez d’autres duos littéraires célèbres tels Chinaski et Bukowski ou encore Bandini et Fante. Cela dit, Hilsenrath n’a pas seulement à voir avec ces deux écrivains. Sa verve, son humour, ses fantasmes assumés, son sens de l’oralité, sa façon de ne pas s’en laisser compter le placent également dans la joyeuse proximité de certains auteurs slaves, en particulier des tchèques Hasek et Hrabal.

Le livre, superbement réalisé, inaugura l'an passé le catalogue des Éditions Attila qui, depuis, multiplient les bonnes surprises. La couverture est du dessinateur et affichiste allemand Henning Wagenbreth et la traduction de Jörg Stickan.

Edgar Hilsenrath : Fuck America, éditions Attila.