Il y a Virginie et il y a Mado. C’est la première qui s’exprime. Ce
qu’elle a à dire n’est pas évident. Il lui faut remonter le temps,
revenir à ses neuf ans puis à son adolescence, bien poser le décor –
l’été, le sable, le bord de mer, la cabane dans les dunes – pour
raconter ce qui, quinze ans plus tard, hante toujours sa mémoire.
« Ma seule consolation est de n’avoir jamais eu d’amis : ainsi je
n’ai à en regretter aucun. Il n’y eut que Mado, seulement Mado. Et
chaque nuit elle me visite, et chaque nuit elle m’embrasse et m’étreint,
et chaque nuit elle vient se venger. »
Ce que Virginie relate, en une longue confession, entrecoupée par le
récit de ce qui illumina l’été de ses quatorze ans, c’est une histoire
d’amour. De ses prémices à sa fin en passant par son apogée. Histoire
unique, intense, dévorante. Passionnée, sensuelle entre deux jeunes
filles qui découvrent ensemble le plaisir et les subtilités de leur
corps. Solitaires, elles éprouvent les mêmes désirs tout en ayant des
personnalités différentes. L’une, libre et radieuse, mais sombre
parfois, dévore l’instant présent en affichant une grande liberté tandis
que l’autre, plus farouche, plus impulsive, ne vit bientôt plus que
pour cette relation sentimentale et charnelle qui occupe toutes ses
pensées. Elle en vient à craindre que des rencontres fortuites ne
viennent en perturber le cours. En elle, la jalousie, peu à peu,
affleure. Avec son lot de souffrance, d’injustice, de honte,
d’incompréhension. Aveuglée par le côté irrationnel de son attachement,
et se croyant trahie, elle va commettre, pour se venger, un acte
irréparable. C’est celui-ci qui la poursuit, des années plus tard, alors
qu’elle est elle-même devenue mère.
« Je suis née au grand air, pour l’amour et la solitude, et me voilà
en plein cœur de ville, ratatinée dans une cage à lapins. À ressasser ce
que j’ai fait, ce que j’ai perdu, ce qui est mort, ce qui meurt, cœur
sec et seins vides. Trente ans et déjà je me languis, et déjà je
m’assèche. »
Derrière la beauté du littoral, la douceur estivale et les jeux
espiègles – mais déstabilisateurs – qui ouvrent le roman, se profile
déjà l’ombre d’un drame à venir. Il ne sera dévoilé qu’en fin d’ouvrage.
Auparavant, Marc Villemain n’aura cessé d’étonner son lecteur. Le sujet
qu’il a choisi d’explorer est assez casse-cou. Il ne pouvait le rendre
crédible qu’en se maintenant – et c’est ce qu’il fait – en équilibre
sur une corde tendue à l’extrême, entre volupté et suggestion, en
restant percutant sans jamais basculer dans la facilité, sans outrance,
sans eau de rose, sans psychologie hasardeuse. Cela implique une
écriture maîtrisée, à fleur de peau, une langue précise, narrative,
sensitive, rugueuse quand il le faut. C’est elle qui donne vie à Mado,
l’ado fragile, entière et lumineuse qui court vers son destin.
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