1953 : Claude Tarnaud vit désormais à Mogadiscio en Somalie. Avant de
partir, il a fait la connaissance à Paris du poète Ghérasim Luca. Un
lien très fort les unit et ils s’écrivent régulièrement. Tous deux sont
passionnés par les coïncidences, les intersignes, les rapprochements et
l’alchimie qui permet à divers événements apparemment isolés de
s’assembler pour créer une constellation capable d’alimenter la lanterne
de tous les curieux qui, comme eux, recherchent l’étonnement. L’aventure de la Marie-Jeanne
se nourrit de ces approches plus ou moins étranges qui sollicitent de
fréquents aller-retours entre la réalité d’un fait et son
interprétation subjective. Tarnaud mène son projet tel un journal, en
suivant la chronologie des faits.
« En présentant cette aventure sous la forme classique du journal, je
lance au-dessus de l’abîme que l’on a délibérément creusé entre le
"vécu" et l’imaginaire un pont de lianes luxuriantes en aval de ceux qui
ont déjà permis à certains élus de passer. »
Pour faciliter les conditions du passage, il lui faut d’abord
s’arrêter sur l’origine de sa quête. L’élément déclencheur est un
article du quotidien Il Corriere della Somalia qui évoque le naufrage, le 27 mai 1953, sur la plage d’El Dalbile, au sud de Mogadiscio, d’une chaloupe à moteur nommée Mary-Jane. Tarnaud y voit un lien avec une autre chaloupe, la Marie-Jeanne,
partie du port de Mahé, dans les Seychelles, le 28 janvier 1953 et qui,
victime d’une panne de moteur, fut abandonnée par ses occupants en
pleine mer. Ses recherches minutieuses lui prouvent qu’il s’agit là de
deux embarcations différentes mais peu importe : le « hasard objectif »
rôde et ce d’autant plus qu’il a écrit peu avant son départ pour la
Somalie, trois textes en prose qu’il a regroupé sous le titre Le Thé de Marie-Jeanne,
en hommage à la marijuana et à Thelonious Monk qui en était un grand consommateur.
Le hasard, intervenant à nouveau à sa façon, a même voulu que Ghérasim
Luca lui offre, quelques heures après la composition de ses textes,
« comme ultime cadeau, trois cigarettes de thé indien. »
« L’échange de lettres hebdomadaires se poursuivit pendant plusieurs
mois entre Ghérasim Luca et moi. Les rencontres les plus exaltantes, les
interprétations les plus aventureuses se succédaient, qui toutes
tournaient autour du mystère de la Marie-Jeanne, véritable mythe en puissance. »
L’un et l’autre, creusant leurs investigations et tentant de
comprendre le monde secret qui se cache derrière l’apparent, trop brut,
trop prévisible, vont découvrir d’autres faits, pour le moins
troublants, qui ont à voir avec des bateaux fantômes et quelques
naufrages inexpliqués. Un nouveau protagoniste va les rejoindre. Il
s’agit de Stanislas Rodanski, dont quelques lettres (signées Stan
Lancelo) sont ici reproduites.
L’aventure retracée méticuleusement par Claude Tarnaud
(1922-1991), avec l’aide de ses proches, et tout particulièrement de
Gibbsy, sa femme, est également intérieure. Le faisceau de coïncidences
qu’il débusque au fil de son récit (qui va de 1953 à 1959) et qui met
en lumière les aspects de sa vie quotidienne à Mogadiscio, ses
correspondances, sa quête initiatique, ses lectures, ses troubles
émotionnels et son besoin de tout noter (il travaille en permanence sur
le motif) ouvre des puits marins au fond desquels scintillent non
seulement quelques embarcations qui ne rentreront jamais au port mais
aussi, et surtout, leurs occupants, occupés à poursuivre la route sous
d’autres cieux.
L’Aventure de la Marie-Jeanne (publié à compte d’auteur en
1967 puis édité à 335 exemplaires par L’écart absolu en 2000) est un
livre rare. Qui emporte et qui trouve place, par sa conception même,
dans la proximité de Nadja de Breton et de La Victoire à l’ombre des ailes de Rodanski.
Claude Tarnaud : L’Aventure de la Marie-Jeanne ou Le Journal indien, éditions Les Hauts-Fonds.
Claude Tarnaud : L’Aventure de la Marie-Jeanne ou Le Journal indien, éditions Les Hauts-Fonds.
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