L'après-midi s'étire et s'apprête à glisser ses heures ternes
dans la pénombre d'un soir de bruine. C'est un jour lent, presque
ordinaire, un jour sans relief apparent qui s'achève. Le ciel
s'affaisse simplement un peu plus que d'habitude, roulant sa
grisaille lourde au-dessus des champs, des rivières et des hameaux
traversés, comme s'il voulait signaler à ceux qui s'activent à ras
de terre l'arrivée d'un novembre fidèle à ses principes de deuil
pour tous.
Il
est un peu plus de seize heures. Le TER file à petite vitesse.
Rennes, Redon, Pontchâteau et Nantes en bout de ligne. Il ralentit
de plus en plus. Multiplie les brusques soubresauts en longeant, sur
sa droite, une zone industrielle. Il y a peu d'hommes dehors mais les
Fenwiks, les grues qui bougent, les tas de palettes et les conteneurs
multicolores qui s'empilent disent leur présence invisible,
harassée, efficace sur place. Coup sur coup, se succèdent deux
usines de compression, l'une dédiée au recyclage de la ferraille et
l'autre à la récupération des vieux papiers. Je pense, un
instant, à l'écrivain Bohumil Hrabal (qui vint s'enrouler, il y a
longtemps, dans des brumes flottantes, tout au bord de l'estuaire) et
à sa Ford blanche fonçant dans la banlieue de Prague quand il
rentrait après avoir, lui aussi, jadis pressé des tonnes de
livres, de journaux invendus et d'emballages divers, certains
maculés du sang des boucheries, dans une cave de la capitale
tchèque. Je me remémore son visage, son menton en galoche et son
torse serré dans un tricot à rayures blanches et bleues avant de
l'abandonner, passé Chantenay, au sortir d'un tunnel où l'on
retrouve la pluie qui ruisselle et macule les vitres sales. Le train
frôle le ballast et écrase les rails avec force. Il broie du noir,
du bois, du fer. Presque tous les passagers sont déjà debout dans
l'allée centrale. Il freine, expire, s'essouffle et s'immobilise
enfin, sèchement, en faisant grincer les battants de ses portes. Qui
s'ouvrent avec lenteur.
Retour à Nantes, collection "Chantiers navals", Maison de la poésie de Nantes, 2012.
Lecture d'Antoine Emaz sur Poezibao.
Une présentation du livre et un entretien avec Karine Parquet pour Nantes Actu.
Lecture de Jérémie Mademissian sur Sitaudis.
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