mercredi 22 janvier 2014

Le Livre de "Quinze Grammes", caporal

Jean Arbousset est mort, « tué à l’ennemi à Cuvilly (Oise) », le 9 juin 1918. Il venait d’avoir 23 ans. Sa chance, si l’on peut dire, est d’avoir réussi à publier l’année précédente un ensemble de poèmes qui restera hélas sans suite, puisque le second manuscrit qu’il avait achevé – et qui devait s’appeler L’Amour, monsieur – et le roman de guerre qu’il était en train d’écrire n’ont jamais été retrouvés. Il ne reste donc présent que par Le Livre de « Quinze Grammes », caporal. C’est à son côté frêle et fluet qu’il devait ce surnom dont il se servait  pour signer lettres et textes.

« Ce sont les Poilus de l’Argonne
qui viennent de me baptiser.
J’aime mon surnom, car il sonne. »

Pour Éric Dussert, qui a établi et préfacé cette édition, ce recueil est « une sorte de petit chef-d’œuvre autonome ». Jean Arbousset y glisse de la douceur et de la noirceur. La mort est omniprésente. Celles des hommes tout comme celles des chevaux. Elle rôde surtout de nuit, bouge sur les talus, s’installe sous un ciel étoilé. Il essaie parfois d’atténuer la gravité de ses poèmes en leur procurant un rythme mélodieux. Procédant ainsi, il parvient à donner encore plus de tonicité à son propos. Ainsi, pour ces blessés qui attendent le remplissage de la voiture pour partir vers l’hôpital :

« Mais ils ne sont, ces blessés,
pas assez
pour mériter assistance.

Car l’auto ne se complaît
qu’au complet
à partir pour l’ambulance.

Les sept blessés ont crevé,
su’l’pavé
comme des choux à la crème,

pour avoir trop attendu,
temps perdu,
pendant un mois, le huitième. »

Arbousset sait se faire cinglant. Ses comptines se terminent mal. Le rire devient grinçant. La chute s’affirme tranchante. Derrière un tempérament joyeux, se cachent un esprit sarcastique, une sensibilité aiguë et une force remarquable. Pas de langue de bois. Pas de rêves portés trop haut. Mais çà et là un réalisme implacable, tel ce poème, saisissant, dédié à sa mère :

« Lorsque la mort viendra, comme une bonne femme
tout simplement, tout bêtement, faucher un corps
chez vous,
aimez jusqu’au détail du funèbre décor,
et si vous êtes pauvre
vous aimerez encore
jusqu’à ce triste bruit des clous
dans le sapin. »

Arbousset a beaucoup circulé entre 1915 et 1918. « On peine d’ailleurs à croire qu’un seul destin puisse conduire à la fréquentation de tant de zones de combat », note Éric Dussert. Il a connu les batailles d’Argonne, de Champagne, de la Somme, de l’Aisne, de la Lorraine. Il est mort peu avant que ne se termine la grande boucherie. En laissant un seul livre et pas le moindre portrait. Paul Géraldy, à qui il avait remis son ultime manuscrit pour qu’il le fasse parvenir à un éventuel éditeur dit qu’il « avait dans les traits quelque chose de fin comme d’une femme, de malicieux comme d’un enfant. Il faisait penser à un page. »

Le Livre de "Quinze Grammes", caporal est plus qu’un témoignage. Il marque le début d’une œuvre qui n’a pas pu se réaliser pleinement en y adjoignant les lettres que Quinze Grammes écrivait à sa marraine de guerre. Y figurent également des textes signés Paul Géraldy et Louis Dubreuil-Chambardel (qui côtoya Arbousset dans les tranchées) et une bibliographie complète.

 Jean Arbousset : Le Livre de « Quinze Grammes », caporal, édition établie et présentée par Éric Dussert, éditions Obsidiane.

samedi 11 janvier 2014

Brouillard

Jean-Claude Pirotte revisite régulièrement les territoires secrets que sa mémoire garde en réserve. Il le fait à la façon d’un arpenteur à l’esprit vif qui avance en quête de traces disséminées au fil du temps. Le passé a empilé ses multiples séquences dans une boîte intérieure qu’il entrouvre quand il en ressent l’envie. Ou quand le besoin s’en fait sentir. Et le besoin, irrépressible, vient cette fois du corps. Qui fatigue, qui flanche, qui, rattrapé par un cancer qu’il croyait endormi pour longtemps encore, ne peut émarger au présent qu’en renouant des liens ténus avec une époque pas vraiment révolue.

« La mémoire est tapissée de reflets trompeurs et de miroirs déformants. À mesure que l’on avance en âge, les reflets se brouillent et les miroirs se fêlent et s’obscurcissent. La mémoire, note Joubert, est le crible de l’oubli. »

La sienne le ramène aux années qui vont de 1957 à 1963. Il est alors étudiant, peu assidu, déjà marié et père d’une fillette qu’il doit (son mariage battant de l’aile) élever pratiquement seul. Plus tard, ce sont les grands-parents qui prendront la relève. Il vit dans une maison isolée où il rêve, lit, écrit. Ne sort que pour retrouver quelques types en sursis (Raymond, Frans, Carlo, Manu) avec lesquels il a récemment mené quelques virées et braquages nocturnes.

« Je suis de retour dans la maisonnette sous le grand chêne et je me convaincs de n’avoir ni épouse ni enfant. Ni ascendants, ni descendante. Rien ni personne susceptibles de constituer une entrave à l’existence que je m’étais promis de mener. Hors la loi, voilà qui me convenait. Dénué de chaîne et seul juge de mes actes. »

Le narrateur (appelons-le Pirotte) qui feuillette ses carnets d’époque, tandis que la maladie gagne et nécessite de fréquents séjours à l’hôpital, tente de se situer dans le brouillard du passé, dans le brouillon de ce début de vie où il s’est très vite retrouvé, presque par inadvertance, avec un tas de fils à la patte. S’affranchir d’un faux mariage, d’une paternité de hasard, d’un père honni, d’une famille bourgeoise et d’une bande de voyous locaux : voilà quelques uns des handicaps qu’il lui faudrait surmonter pour gagner enfin sa part de liberté.

« Ce vaudeville m’inspire, quand il ne me désespère pas. Où me suis-je donc fourré ? J’étais naïf au-delà de toute innocence. Et coupable. »

Comme toujours, Pirotte ne se cherche pas d’excuses. Il assume. Il gratte le vernis et appuie là où ça fait mal. Au cœur du réel. En filtrant juste ce qu’il faut (surtout ne pas s’épancher) pour récolter ce que celui-ci contient de romanesque. Et de tension, de douleur, de disparitions, de mal-être. Mais aussi d’incitations au départ, à l’errance, au voyage. Dans le temps, dans l’espace et dans les livres. Autrement dit partout où son écriture précise peut travailler, à la manière de cette araignée qu’il évoque au tout début du roman, pour tisser une toile discrète et lumineuse à l’intérieur de laquelle il ne cesse de se déplacer.

 Jean-Claude Pirotte : Brouillard, Le Cherche midi.

samedi 4 janvier 2014

Cap au Nord

C’est un road movie hors du commun. L’homme qui parle roule à bonne vitesse. Il a beaucoup à dire. Sur la solitude, la mémoire et le silence des pères. Le sien vient tout juste de mourir. Il lui doit un ultime voyage, le seul qu’ils feront vraiment ensemble. Et ce sera un retour aux sources, un périple souvent évoqué mais toujours remis. Pour le réaliser, il préfère l’asphalte la nuit. Se laisser guider par les phares qui éclairent un peu plus que la courbe des virages. Traverser la montagne en enfilant montées et descentes de cols avec arrêts rapides dans la vallée. Le père mort penche un peu vers l’avant. Il est assis sur la banquette arrière, casquette sur la tête et mains bien posées sur les genoux.

« A l’arrière pas un souffle... Pas un soupir. Agréable de voyager avec le père. Reposant. On voit quoi quand on est mort ? Rien sans doute... Vivant c’est la même chose. Rien non plus à comprendre... Le mode d’emploi est trop compliqué. C’est l’absurdité qui nous empoigne. Nous jette au sol. »

La voiture avale le long ruban de bitume avec un bel appétit. Le conducteur rêvasse, fume et ouvre de temps en temps « la petite valise noire invisible » qui contient (et parfois délivre) des souvenirs ordinaires, des scènes de vie éphémères quand lui et le père parvenaient à partager un moment infime mais précieux. Il remonte ainsi vers l’enfance, puis entre dans l’âge adulte, revoit le père silencieux, ouvrier modèle, immigré, mal payé mais n’osant réclamer son dû au patron.

« La mère régulièrement lui tombe sur le râble au père. Une furie la mère quand il s’agit de pognon. Lui cause au père augmentations de salaire qu’on voit jamais venir. »

L’étrange veille se poursuit, mobile, ponctuée d’instantanés revenus du passé. Piccamiglio décline cela en usant de ce style télégraphique déroutant mais très efficace et percutant qu’il manie depuis toujours. En enchaînant les phrases courtes, il donne à son récit un rythme haletant et soutenu. Celui-ci suit le tracé sinueux emprunté par la voiture. Le chauffeur attentionné jette ponctuellement un œil dans le rétroviseur pour voir si derrière le mort tient la distance. S’il lui arrive d’accélérer trop brutalement, il rétrograde assez vite, surpris par un virage en épingle à cheveux ou remis sur les bons rails grâce à un simple bouquet de fleurs, accroché ici ou là, en bordure de route, en mémoire d’un autre mort.

Leur croisière nocturne va les mener sur un parking situé près d’un cimetière à Bergame, là ou sont les racines, là où reposent les autres disparus de la famille, là où il faut aussi déposer le corps du père après avoir trouvé un cercueil, et de l’aide pour creuser la terre... Il sera alors temps de songer à faire route retour en laissant le mort apprécier, dans la Fosse Commune des Fervents Anonymes, cette grande solitude, qui, sa vie durant, semble ne l’avoir jamais quitté.


 Robert Piccamiglio : Cap au Nord, éditions Encre et Lumière.

vendredi 27 décembre 2013

Alain Jégou, au fil des rencontres

 Je le revois cet été-là, debout au bord de l'Atlantique. Dans ma mémoire, derrière l'apparition rapide de cette image, semble se deviner le blues du capitaine. Il a des braises qui couvent dans les yeux. Il regarde au loin. Reste assez silencieux. Près de lui, Le Bayon s'active à peine. Il crie tout de même après les mouettes, histoire d'essayer d'enrayer le concert en cours au-dessus de nous. Je les suis à distance. Les ai laissés prendre un peu de champ. Je suis avec eux à Belle-Ile pour une semaine. On a passé une bonne partie de la nuit précédente dans la boulangerie à Momo qui bossait au fournil avec ses frères et, vers quatre heures du matin, boulot terminé, on a débouché une bouteille de muscadet en dégustant des croissants chauds sur un bout de table en ferraille.

Je ne réussis pas à expliquer pourquoi, mais quand j'essaie de revivre au ralenti certaines de mes rencontres avec Alain Jégou, c'est souvent celle-ci qui revient. Peut-être parce que depuis Momo est mort (happé par une vague alors qu'il pêchait aux abords de l'île) et que je n'ai jamais réussi à remettre mes pas dans ceux du virevoltant boulanger de Bangor. Je ne sais pas pourquoi la scène déboule ainsi, hirsute, à l'improviste, entortillée là-haut à la manière de ces volutes de fumée qui traînent en spirales, de la table au plafond, dans un bar de préférence, puisque c'est là que nous avons pris l'habitude de nous réfugier pour sécher nos (déjà presque) vieilles peaux.

Autre lieu, autre rencontre. Ce jour-là, le bistrot était planté dans les dunes. Je crois qu'il s'appelait Les Mouettes. On avait simplement pu repérer, en arrivant à la tombée de la nuit, le beau toit couleur verveine qui chapeautait la bâtisse. C'était quelque part du côté de Lomener. Alain et Georges connaissaient. Avant d'entrer, on s'est soulagé des deux ou trois bières qu'on avait sifflées en compagnie du peintre Le Brusq dans un café près de la gare de Lorient. On avait fait attention à nos chaussures et à nos pantalons. Ici, l'air est turbulent et il est nécessaire de savoir bien orienter son jet. Le vent soufflait en tempête. On entendait la mer qui hurlait derrière. Les oyats n'en pouvaient plus de battre le sable. On a ensuite découvert, un rien échevelés, l'agréable chaleur du bar. Deux vieux picolaient au comptoir. On s'est installé à l'écart, près de la grande baie vitrée. Avec vue sur l'océan. Qui ronflait toujours mais dont on n'apercevait plus que des crêtes d'écume disséminées dans le noir... Sitôt la commande passée, on s'est embarqué avec, en vrac, sur nos chaloupes de solitaires qui venaient de se retrouver, poésie, peinture, revues, livres, souvenirs, projets. On a glissé de la fin des années soixante-dix à aujourd'hui (en 1998), comme ça, mine de rien, grâce à un nom, un lieu, une anecdote. Cela nous a mené très loin, très tard.

Parfois, il y a des mots, mais jamais, bien sûr, de coups échangés avec les voisins de table, quand on s'emporte trop vite, pris dans le tourbillon de nos barcasses qui ont du mal à faire face aux caprices du vin qui se met à sauter comme un cabri dans nos veines. Ainsi, cet autre jour, autre bar (ou plutôt resto) à Saint-Brieuc cette fois. Je ne sais plus exactement lequel d'entre nous avait mis le feu aux poudres. En tout cas, nos éclats de voix avaient fini par enflammer quelques broussailles sèches dans les cerveaux pourtant patients des autres clients. Eux, ils étaient là pour manger et discuter calmement alors que nous on commençait, le hors-d’œuvre à peine entamé, à faire cliqueter nos verres de plus en plus fort en donnant libre cours à notre roulis intérieur. C'était, je ne peux pas ne pas m'en souvenir, notre première rencontre. Le peintre Georges Le Bayon était présent, en ce samedi soir de l'an 1981, dans le havre situé dans la vieille ville, rue des Trois Frères Le Goff, entre la place de la Grille et la descente en pente raide vers le port du Légué... Il faut dire que l'on avait préparé l'entrevue de longue date. On s'écrivait depuis deux ou trois ans, depuis le jour où je lui avais commandé son recueil La suie-robe des sentiers suicidaires, livre préfacé par Marc Villard, avec crâne intact, revenu des tréfonds de l'océan, incrusté sur la couverture noire. Auparavant, j'avais lu certains de ses poèmes dans quelques revues, j'avais repéré son nom dans une anthologie de Bernard Delvaille (éditions Seghers) et dans un volume de "Poésie 1". Ce type-là, on voyait bien qu'il n'écrivait pas qu'avec sa tête. Il fouillait également en lui, il se tiraillait les tripes et n'hésitait pas à les balancer sur la page. Il cherchait à être en accord avec lui-même. Ne biaisait pas. Ne jouait pas. Se foutait de la gloriole. On le plaçait d'emblée dans la lignée des discrets, des enragés, des mélancoliques, des solitaires et des rêveurs éveillés. Autrement dit du bon côté de la barrière. De plus, il habitait à moins de deux cents kilomètres de Liscorno. La distance n'était pas un obstacle. Par contre, nos emplois du temps respectif, le sien surtout (en mer six jours sur sept sur son chalutier Ikaria) ne nous permettaient pas de nous voir aussi souvent que souhaité. Mais au final peu importe... Bientôt vingt ans vont passer depuis nos premières lettres, et si je regarde un peu en arrière, j'y vois de superbes balises, des points d'ancrage lumineux, des rencontres furtives ou prolongées, un peu partout en Bretagne, chez lui à Fort-Bloqué ou ailleurs, à Paimpol, Quimper, Rennes, Lorient, Douarnenez ou Saint-Brieuc donc, pour la première, l'inaugurale, qui s'était finalement à peu près bien terminée, aux alentours de minuit, à genoux place de la Gare, nous escrimant tous les trois à changer une roue de voiture sous l’œil écœuré et fatigué des flics.

Curieusement, je n'éprouve pas le besoin de parler de ses textes. Ceux-ci sont extrêmement directs, rugueux et violents. N'excluent tendresse ni humour. Ils viennent du corps. Leur effet est immédiat. Ils bousculent, barattent le mental, se cognent aux vagues, balancent des uppercuts bien ciblés là où il faut justement frapper. Ce qu'il faut ajouter, mais cela va de soi, c'est que derrière ces pages, derrière ces morceaux d'écume et ces carnets de route au large, il y a un mec qui va de l'avant en se colletant les intempéries de l'âme et du monde. Ce bonhomme-là, j'aime le rencontrer et le lire : c'est à chaque fois une bonne et revigorante claque dans la gueule de mes petites certitudes de terrien capable (ou presque) de se donner l'illusion d'un départ en pêche avec le capitaine rien qu'en fabriquant un bateau en papier destiné à l'eau du ruisseau d'en face.

Ce texte, légèrement remanié, a été publié dans le n° 52 de la revue Travers consacré à Alain Jégou en 1998.

 

vendredi 20 décembre 2013

Chaissac - Mougin : une correspondance

Chaque numéro de la revue Travers (créée en 1979 par Philippe Marchal) est construit et pensé avec précision, en fonction du thème ou des textes, dessins et reproductions publiés. L’objet est toujours en adéquation parfaite avec le contenu. Témoin ce n° 58, consacré à la correspondance entre Gaston Chaissac et Jules Mougin. Celle-ci court de 1948 à 1962 et chaque lettre est ici reproduite en fac-similé et en typo, sur feuilles blanches grand format assemblées sous un long bandeau de papier kraft où sont mentionnés expéditeur, destinataire et date. L’ensemble est réuni dans un coffret dont les quatre battants permettent de découvrir, sous enveloppes ornées d’un timbre signé Jean Vodaine, des courriers de Michel Ragon, de Jean L’Anselme, de Jean Mougin (fils de Jules) et de Camille Chaissac (femme de Gaston).

Dès le début de leur correspondance, s’affirment deux tempéraments curieux et en état d’alerte, deux créateurs qui écrivent, dessinent et peignent en se tenant résolument à l’écart. Ce sont des solitaires, très attentifs aux autres, tout particulièrement à ceux qui viennent, comme eux, du monde ouvrier où le bluff et la notoriété ont rarement cours. Ils parlent du ciel, du vent, des soucis ou joies de la vie ordinaire et de leurs travaux ou projets. L’un est un épistolier hors pair et l’autre distribue des centaines de plis tous les jours. Ce fil les relie. Le facteur Mougin (1912-2010) est discret et avenant tandis que le cordonnier Chaissac (1910-1964), plus volubile, aime donner des nouvelles de ceux du village en se souciant peu de l’orthographe.

« roger Sionneau est justement soldat à laval qui est aussi la patrie de notre confrère Madeleine brunet dont la poësie se situe parfois dans les sables d’olonnes et le pétrin du boulanger voisin tourne à en perdre haleine dans le candide matin ensoleillé sans que les pierre s’en mettent à parler. Mais le roquet de la commère qui ne pivoine pas vient d’aboyer. Tres amicalement
G Chaissac, valetudinaire, orfèvre en vieux cuir et gandineur de l’école des Laids arts. »

Mougin attend chaque lettre avec impatience. Son fils Jean explique le lent rituel mis en place pour l’ouverture de l’enveloppe, la lecture du courrier et le plaisir à le partager avec sa femme avant de le ranger soigneusement.

« J’aime ses délires. J’aime sa vision du monde. J’aime sa solitude. J’aime ses dessins. J’aime Chaissac, c’est tout. »

Ils se retrouvent au sommaire de la revue Peuple et poésie (1947-1951) , initiée par Michel Ragon et Jean L’Anselme. Ils cohabitent également au sein de la revue Dire de leur ami Jean Vodaine. Ils portent une parole simple et efficace, celle qui adopte « les mots qui font pas leur fier-à-bras, une parole appelée à dire avec plus de justesse, mettant au cœur de l’homme, cette fantaisie qui l’ensoleille », rappelle le poète et facteur Claude Billon, qui a aidé Philippe Marchal à collecter les documents rares (dont de nombreux dessins) réunis dans cette superbe livraison.

« L’un gribouillait des milliers de lettres. L’autre les portait à domicile. Il sont tous les deux, à la fois des Anomalies dans la littérature et l’art contemporains, et de merveilleux créateurs », note Michel Ragon.

Chaissac - Mougin : une correspondance, Travers, 10 rue des Jardins 70220 Fougerolles.