Jean Arbousset est mort, « tué à l’ennemi à Cuvilly (Oise) », le 9 juin
1918. Il venait d’avoir 23 ans. Sa chance, si l’on peut dire, est
d’avoir réussi à publier l’année précédente un ensemble de poèmes qui
restera hélas sans suite, puisque le second manuscrit qu’il avait achevé
– et qui devait s’appeler L’Amour, monsieur – et le roman de guerre qu’il était en train d’écrire n’ont jamais été retrouvés. Il ne reste donc présent que par Le Livre de « Quinze Grammes », caporal. C’est à son côté frêle et fluet qu’il devait ce surnom dont il se servait pour signer lettres et textes.
« Ce sont les Poilus de l’Argonne
qui viennent de me baptiser.
J’aime mon surnom, car il sonne. »
qui viennent de me baptiser.
J’aime mon surnom, car il sonne. »
Pour Éric Dussert, qui a établi et préfacé cette édition, ce
recueil est « une sorte de petit chef-d’œuvre autonome ». Jean
Arbousset y glisse de la douceur et de la noirceur. La mort est
omniprésente. Celles des hommes tout comme celles des chevaux. Elle rôde
surtout de nuit, bouge sur les talus, s’installe sous un ciel étoilé.
Il essaie parfois d’atténuer la gravité de ses poèmes en leur procurant
un rythme mélodieux. Procédant ainsi, il parvient à donner encore plus
de tonicité à son propos. Ainsi, pour ces blessés qui attendent le
remplissage de la voiture pour partir vers l’hôpital :
« Mais ils ne sont, ces blessés,
pas assez
pour mériter assistance.
pas assez
pour mériter assistance.
Car l’auto ne se complaît
qu’au complet
à partir pour l’ambulance.
qu’au complet
à partir pour l’ambulance.
Les sept blessés ont crevé,
su’l’pavé
comme des choux à la crème,
su’l’pavé
comme des choux à la crème,
pour avoir trop attendu,
temps perdu,
pendant un mois, le huitième. »
temps perdu,
pendant un mois, le huitième. »
Arbousset sait se faire cinglant. Ses comptines se terminent mal. Le
rire devient grinçant. La chute s’affirme tranchante. Derrière un
tempérament joyeux, se cachent un esprit sarcastique, une sensibilité
aiguë et une force remarquable. Pas de langue de bois. Pas de rêves
portés trop haut. Mais çà et là un réalisme implacable, tel ce poème,
saisissant, dédié à sa mère :
« Lorsque la mort viendra, comme une bonne femme
tout simplement, tout bêtement, faucher un corps
chez vous,
aimez jusqu’au détail du funèbre décor,
et si vous êtes pauvre
vous aimerez encore
jusqu’à ce triste bruit des clous
dans le sapin. »
tout simplement, tout bêtement, faucher un corps
chez vous,
aimez jusqu’au détail du funèbre décor,
et si vous êtes pauvre
vous aimerez encore
jusqu’à ce triste bruit des clous
dans le sapin. »
Arbousset a beaucoup circulé entre 1915 et 1918. « On peine
d’ailleurs à croire qu’un seul destin puisse conduire à la fréquentation
de tant de zones de combat », note Éric Dussert.
Il a connu les batailles d’Argonne, de Champagne, de la Somme, de
l’Aisne, de la Lorraine. Il est mort peu avant que ne se termine la
grande boucherie. En laissant un seul livre et pas le moindre portrait.
Paul Géraldy, à qui il avait remis son ultime manuscrit pour qu’il le
fasse parvenir à un éventuel éditeur dit qu’il « avait dans les traits
quelque chose de fin comme d’une femme, de malicieux comme d’un enfant.
Il faisait penser à un page. »
Le Livre de "Quinze Grammes", caporal est plus qu’un
témoignage. Il marque le début d’une œuvre qui n’a pas pu se réaliser
pleinement en y adjoignant les lettres que Quinze Grammes écrivait à sa
marraine de guerre. Y figurent également des textes signés Paul Géraldy
et Louis Dubreuil-Chambardel (qui côtoya Arbousset dans les tranchées)
et une bibliographie complète.
Jean Arbousset : Le Livre de « Quinze Grammes », caporal, édition établie et présentée par Éric Dussert, éditions Obsidiane.
Jean Arbousset : Le Livre de « Quinze Grammes », caporal, édition établie et présentée par Éric Dussert, éditions Obsidiane.
Beau livre, en effet.
RépondreSupprimerBruno Fern