vendredi 20 décembre 2013

Chaissac - Mougin : une correspondance

Chaque numéro de la revue Travers (créée en 1979 par Philippe Marchal) est construit et pensé avec précision, en fonction du thème ou des textes, dessins et reproductions publiés. L’objet est toujours en adéquation parfaite avec le contenu. Témoin ce n° 58, consacré à la correspondance entre Gaston Chaissac et Jules Mougin. Celle-ci court de 1948 à 1962 et chaque lettre est ici reproduite en fac-similé et en typo, sur feuilles blanches grand format assemblées sous un long bandeau de papier kraft où sont mentionnés expéditeur, destinataire et date. L’ensemble est réuni dans un coffret dont les quatre battants permettent de découvrir, sous enveloppes ornées d’un timbre signé Jean Vodaine, des courriers de Michel Ragon, de Jean L’Anselme, de Jean Mougin (fils de Jules) et de Camille Chaissac (femme de Gaston).

Dès le début de leur correspondance, s’affirment deux tempéraments curieux et en état d’alerte, deux créateurs qui écrivent, dessinent et peignent en se tenant résolument à l’écart. Ce sont des solitaires, très attentifs aux autres, tout particulièrement à ceux qui viennent, comme eux, du monde ouvrier où le bluff et la notoriété ont rarement cours. Ils parlent du ciel, du vent, des soucis ou joies de la vie ordinaire et de leurs travaux ou projets. L’un est un épistolier hors pair et l’autre distribue des centaines de plis tous les jours. Ce fil les relie. Le facteur Mougin (1912-2010) est discret et avenant tandis que le cordonnier Chaissac (1910-1964), plus volubile, aime donner des nouvelles de ceux du village en se souciant peu de l’orthographe.

« roger Sionneau est justement soldat à laval qui est aussi la patrie de notre confrère Madeleine brunet dont la poësie se situe parfois dans les sables d’olonnes et le pétrin du boulanger voisin tourne à en perdre haleine dans le candide matin ensoleillé sans que les pierre s’en mettent à parler. Mais le roquet de la commère qui ne pivoine pas vient d’aboyer. Tres amicalement
G Chaissac, valetudinaire, orfèvre en vieux cuir et gandineur de l’école des Laids arts. »

Mougin attend chaque lettre avec impatience. Son fils Jean explique le lent rituel mis en place pour l’ouverture de l’enveloppe, la lecture du courrier et le plaisir à le partager avec sa femme avant de le ranger soigneusement.

« J’aime ses délires. J’aime sa vision du monde. J’aime sa solitude. J’aime ses dessins. J’aime Chaissac, c’est tout. »

Ils se retrouvent au sommaire de la revue Peuple et poésie (1947-1951) , initiée par Michel Ragon et Jean L’Anselme. Ils cohabitent également au sein de la revue Dire de leur ami Jean Vodaine. Ils portent une parole simple et efficace, celle qui adopte « les mots qui font pas leur fier-à-bras, une parole appelée à dire avec plus de justesse, mettant au cœur de l’homme, cette fantaisie qui l’ensoleille », rappelle le poète et facteur Claude Billon, qui a aidé Philippe Marchal à collecter les documents rares (dont de nombreux dessins) réunis dans cette superbe livraison.

« L’un gribouillait des milliers de lettres. L’autre les portait à domicile. Il sont tous les deux, à la fois des Anomalies dans la littérature et l’art contemporains, et de merveilleux créateurs », note Michel Ragon.

Chaissac - Mougin : une correspondance, Travers, 10 rue des Jardins 70220 Fougerolles.



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