Chaque numéro de la revue Travers (créée en 1979 par Philippe Marchal)
est construit et pensé avec précision, en fonction du thème ou des
textes, dessins et reproductions publiés. L’objet est toujours en
adéquation parfaite avec le contenu. Témoin ce n° 58, consacré à la
correspondance entre Gaston Chaissac et Jules Mougin. Celle-ci court de
1948 à 1962 et chaque lettre est ici reproduite en fac-similé et en
typo, sur feuilles blanches grand format assemblées sous un long bandeau
de papier kraft où sont mentionnés expéditeur, destinataire et date.
L’ensemble est réuni dans un coffret dont les quatre battants permettent
de découvrir, sous enveloppes ornées d’un timbre signé Jean Vodaine,
des courriers de Michel Ragon, de Jean L’Anselme, de Jean Mougin (fils
de Jules) et de Camille Chaissac (femme de Gaston).
Dès le début de leur correspondance, s’affirment deux tempéraments
curieux et en état d’alerte, deux créateurs qui écrivent, dessinent et
peignent en se tenant résolument à l’écart. Ce sont des solitaires,
très attentifs aux autres, tout particulièrement à ceux qui viennent,
comme eux, du monde ouvrier où le bluff et la notoriété ont rarement
cours. Ils parlent du ciel, du vent, des soucis ou joies de la vie
ordinaire et de leurs travaux ou projets. L’un est un épistolier hors
pair et l’autre distribue des centaines de plis tous les jours. Ce fil
les relie. Le facteur Mougin (1912-2010) est discret et avenant tandis que le cordonnier Chaissac (1910-1964), plus volubile, aime donner des nouvelles de ceux du village en se souciant peu de l’orthographe.
« roger Sionneau est justement soldat à laval qui est aussi la patrie
de notre confrère Madeleine brunet dont la poësie se situe parfois dans
les sables d’olonnes et le pétrin du boulanger voisin tourne à en
perdre haleine dans le candide matin ensoleillé sans que les pierre s’en
mettent à parler. Mais le roquet de la commère qui ne pivoine pas vient
d’aboyer. Tres amicalement
G Chaissac, valetudinaire, orfèvre en vieux cuir et gandineur de l’école des Laids arts. »
G Chaissac, valetudinaire, orfèvre en vieux cuir et gandineur de l’école des Laids arts. »
Mougin attend chaque lettre avec impatience. Son fils Jean explique
le lent rituel mis en place pour l’ouverture de l’enveloppe, la lecture
du courrier et le plaisir à le partager avec sa femme avant de le ranger
soigneusement.
« J’aime ses délires. J’aime sa vision du monde. J’aime sa solitude. J’aime ses dessins. J’aime Chaissac, c’est tout. »
Ils se retrouvent au sommaire de la revue Peuple et poésie (1947-1951) , initiée par Michel Ragon et Jean L’Anselme. Ils cohabitent également au sein de la revue Dire de leur ami Jean Vodaine.
Ils portent une parole simple et efficace, celle qui adopte « les mots
qui font pas leur fier-à-bras, une parole appelée à dire avec plus de
justesse, mettant au cœur de l’homme, cette fantaisie qui
l’ensoleille », rappelle le poète et facteur Claude Billon, qui a aidé
Philippe Marchal à collecter les documents rares (dont de nombreux dessins) réunis dans cette superbe livraison.
« L’un gribouillait des milliers de lettres. L’autre les portait à domicile. Il sont tous les deux, à la fois des Anomalies dans la littérature et l’art contemporains, et de merveilleux créateurs », note Michel Ragon.
Chaissac - Mougin : une correspondance, Travers, 10 rue des Jardins 70220 Fougerolles.
Chaissac - Mougin : une correspondance, Travers, 10 rue des Jardins 70220 Fougerolles.
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