Les hommes, femmes et enfants que le peintre Jean Rustin (1928-2013)
donne à voir nous regardent tout autant que nous les regardons. Leurs
yeux ne cillent pas. Ils nous observent. Ils sont grands ouverts,
presque lavés, dégageant une certaine innocence.
« Leurs yeux n’attendent aucune pitié, sont baignés d’une lumière
dans laquelle nous voyons comment nous considérer, lumière qui éclaire
les gouffres. »
Ils sont immobiles et désœuvrés, debout ou assis dans un lieu
précaire, ou allongés sur un lit de fortune, ou encore couchés sur le
sol. Les hommes ont souvent le sexe à la main. Chez eux, la pudeur n’a
plus cours. Ils se masturbent pour tenter de remuer un corps replié sur
lui-même tout en apaisant un psychisme que l’on sent défaillant.
« Des corps se défont, nous montrent leur enfermement, dans une
solitude masturbatoire, à même le sol, dans des pièces insalubres.
Nous assistons au viol de nos yeux »
Nous assistons au viol de nos yeux »
Il n’y a ici nul soupçon d’érotisme mais la mise à nu d’une réalité
violente qui anéantit, en premier lieu, les laissés pour compte, les
aliénés, les internés auxquels Jean Rustin
apporte une part d’humanité. Il nous demande d’être attentifs, un
instant, à ceux-là même qui nous ressemblent tant. Ce faisant, il en
déstabilise forcément plus d’un.
« Retranchés dans le mutisme et ces chambres nues, ils n’attendent et
ne demandent rien. Ces regards, tournés vers nous, soldent leur compte
et, devant nous, la vie vient au rapport ».
Trouver les mots justes pour exprimer de façon concrète ce que nous
transmettent ces visages, ces corps, et y inclure ce que l’on ressent
dès que l’on s’immerge dans l’univers du peintre, n’est pas chose
évidente. Seul un poète secret, concis et efficace, un adepte de « la pratique de l’effacement », comme sait l’être Michel Bourçon, pouvait y parvenir. L’auteur de (entre autres livres) Les rues pluvieuses n’iront pas au ciel
(Les carnets du dessert de lune, 2014) est, comme à son habitude, posé
et totalement disponible. Il écrit avec tact et sobriété. Il offre un
livre sensible, tendu, tenu, empreint d’une grande bonté.