Il a dix ans et préfèrerait disparaître sous les draps. Il les entend
qui s’affrontent derrière la cloison qui sépare sa chambre de la leur en
imaginant aisément, paupières closes et respiration bloquée, ce qui se
passe tout à côté. Il connaît par cœur la bande-son qui accompagne leurs
ébats. Lui, le père, le gringalet, doit être en ce moment couché sur la
mère, en train de gigoter et de se retenir. Et elle doit sûrement le
laisser venir en l’encourageant petitement (Ah ! Oh ! Ah !) tandis qu’il ne peut s’empêcher de l’insulter (Ferme-la, putain !), conscient qu’elle ne tardera pas à le désarçonner et à l’éjecter avant même qu’il aura commencé à jouir.
« Leur petit manège, malgré qu’il soit et depuis longtemps ritualisé,
semble s’accomplir une fois de plus dans la précipitation, le plus
savant désordre. Il leur faut, à tous les deux, se libérer des tensions
et des rancunes trop longtemps accumulées. »
Ces tensions, ancrées au plus profond de ces deux êtres fêlés,
déboussolés et dépressifs, s’expriment au quotidien avec comme unique
spectateur l’enfant qui, bien que ne possédant pas ("en théorie - en
théorie seulement") "le bagage ni le langage pour appréhender" la
situation, dresse néanmoins, et posément, de terrifiants portraits à
charge de ses géniteurs. Il y a d’un côté "Daniel, mon salaud de père"
et de l’autre "Violette, ma folle de mère". Violée à la sortie d’un bal
au bord d’une rivière puis prise peu après, "en catastrophe", sur un
banc de gare par celui qui allait devenir son mari, elle a perdu la
raison après s’être en partie vidée de son sang, trois jours après
qu’elle eut accouché de ce fils unique.
« Il la bat devant moi, trop heureux – sans doute – de m’offrir une nouvelle démonstration de son petit pouvoir. »
En fait de pouvoir, cet homme (qui frappe aussi bien sa femme que
son fils) en est tout simplement dépourvu. Sa santé est mauvaise. Son
physique délicat. Son appartement a été payé par sa
belle-mère, une ancienne infirmière qui débarque à l’improviste, menant
son petit monde à la baguette. Quant à son gagne-pain (un emploi dans
une usine de pétrochimie qui fait qu’il dégage, en permanence, une
puanteur insupportable), il le doit à Caudron, le médecin de famille,
inquiétant personnage qui rôde en périphérie et qui surveille de près la
maladie respiratoire qui lui mange le souffle. Il lui offrira
d’ailleurs bientôt, jouant à l’homme providentiel jusqu’au bout, un long
séjour à l’hôpital.
« Je vais mourir. C’est tout ce que mon pauvre salaud de père
paraît en mesure de rétorquer. Asphyxié depuis le réveil, il a prononcé
cette phrase une bonne dizaine de fois, jusqu’à en évacuer le sens. »
C’est un remarquable huis-clos, avec plongée dans les ténèbres de
l’âme humaine, vu à travers le regard d’un enfant, que nous invite à
suivre ici Patrick Varetz.
Son écriture est très efficace. Les incises brèves qu’il insère
régulièrement au fil des phrases donnent beaucoup de corps, de précision
et d’épaisseur au texte. Elles insufflent, de plus, un tempo
lancinant à ce roman extrêmement fouillé. Au final, les innombrables
dérives des deux adultes fracassés attisent toujours un peu plus
l’envie (et la rage) de s’en sortir – d’une façon ou d’une autre, si
possible par le haut – du petit narrateur. Qui reste - on le serait à
moins - forcément méfiant.
Patrick Varetz : Petite vie, éditions P.O.L.
Patrick Varetz : Petite vie, éditions P.O.L.
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