C’est une photo inédite, tombée d’un livre qu’on lui a offert le
jour même où on lui a signifié qu’il était licencié de la start-up
californienne où il travaillait, qui permet au narrateur du nouveau
roman de Jérôme Baccelli de rebondir de façon inattendue. Le cliché,
inséré entre les pages d’Exil, recueil de poèmes de Saint-John
Perse, date de 1941. On y voit un couple qui pose devant l’objectif. La
femme, très jeune, est inconnue mais l’homme, qui apparaît avec un
volumineux dossier sous le bras est bien l’ancien diplomate Alexis
Léger, autrement dit Saint-John Perse.
« Derrière eux, on distingue un vaste hall, des plafonds hauts lambrissés. Une gare peut-être. Un édifice public en tout cas. »
Le futur prix Nobel, démis de ses fonctions au Quai d’Orsay en 1940
par Paul Reynaud puis déchu de sa nationalité par le régime de Vichy,
a, cette année-là, tout quitté pour rejoindre les États-Unis. Il a
changé de vie, de pays, de nom. C’est sur les traces de celui qui fut
avant-guerre Secrétaire Général du ministère des Affaires Étrangères que
se lance l’homme qui s’exprime ici, lui-même expatrié de l’autre côté
de l’Atlantique.
Le long séjour du poète en Amérique contient de nombreuses zones
d’ombre. Ce sont elles qu’il souhaite éclaircir. Il entreprend d’abord
un voyage rapide en France, s’arrêtant dans le village de Giens, là
où se trouve la villa des Vigneaux où Perse vécut ses dernières années,
et ensuite à Aix-en-Provence, ville à laquelle il a légué tous ses
documents et manuscrits et qui abrite la Fondation Saint-John Perse.
La femme qui en a la charge va l’aider dans ses recherches. Elle va
même repartir avec lui aux États-Unis.
Tous deux vont circuler, fouiller, retracer le parcours du poète,
rencontrer l’inconnue de la photo, découvrir le lieu où celle-ci a été
prise et tenter de savoir quel était ce fameux dossier qu’il portait
sous le bras. Était-ce un manuscrit inédit ? Ou les mémoires de l’ancien
diplomate ? On sait qu’il a eu une longue et riche carrière. Qu’il a vu
valser bien des ministres. Que Léon Blum le consultait régulièrement.
Qu’il participa aux accords de Munich aux côtés de Daladier. Qu’il était
proche de Roosevelt. Et méfiant envers De Gaulle. Qui ne l’appréciait
guère non plus.
« Ce que De Gaulle ne lui pardonne pas, ce n’est pas d’avoir boudé
l’appel du 18 juin mais d’être resté où il avait émigré après la
Libération, d’avoir constaté avec émerveillement qu’il se trouvait très
bien hors de nos frontières. Pour un aussi grand serviteur de l’État,
c’était une première ».
L’enquête est rondement menée. Certaines pistes sont abandonnées et
quelques baudruches dégonflées. Le narrateur et son accompagnatrice
marchent sur des œufs. Ils ne sont pas là pour réécrire l’histoire mais
pour tenter de comprendre. L’auteur les fait évoluer entre fiction
(plusieurs histoires se croisent) et éléments biographiques bien réels.
Au final, le narrateur trouve réponse à nombre de ses questions mais
doit admettre que les manuscrits qu’il avait tant espérés dénicher
n’ont peut-être jamais existé. À moins qu’ils aient été détruits par le
diplomate.
Jérôme Baccelli
nous embarque dans une pérégrination narrative efficace, sur les routes
sinueuses empruntées par un Saint-John Perse (1887-1975) qui s’est
toujours arrangé pour ne jamais dévoiler quelques uns de ses secrets.
Ce qui ne l’empêche pas de devenir l’homme-clé d’un faux (et
passionnant) roman d’espionnage.
Jérôme Baccelli : Ici ou là-bas, Le Nouvel Attila.
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