La vie va tellement vite qu’il convient parfois, si on veut – sur la durée – s’y repérer puis s’y retrouver, noter au fil des mois quelques uns des moments brefs, précis, intenses qui la jalonnent. Ceux-ci aident ensuite au balisage d’un quotidien trop souvent jugé inutile et (sitôt vécu) voué à l’oubli.
Refusant le réflexe de « l’à quoi bon », Lucien Suel a, ainsi, durant vingt ans (de 1986 à 2006) tenu un journal de bord particulier. On n’y trouve nul épanchement, nulle analyse, nulle étude socio-psycho-dépresso-littéraire mais des bribes, des brindilles, des vignettes qui, en peu de lignes, disent les jours, les périples, les rencontres, les échanges, les livres, les lectures qui s’enchaînent.
Refusant le réflexe de « l’à quoi bon », Lucien Suel a, ainsi, durant vingt ans (de 1986 à 2006) tenu un journal de bord particulier. On n’y trouve nul épanchement, nulle analyse, nulle étude socio-psycho-dépresso-littéraire mais des bribes, des brindilles, des vignettes qui, en peu de lignes, disent les jours, les périples, les rencontres, les échanges, les livres, les lectures qui s’enchaînent.
« Invitation à Marseille par Le disque inaudible pour la sortie de La hache qui rit où j’ai publié Archiviste de la défonce. Dans la galerie L’Apocope, je lis ce poème écrit sous influence en 1972, puis Prose du ver, pour Castaneda et les champignons. Je termine avec Poème papou dont la chute “tabou t’habite, totem t’entube” déride quelques auditeurs. »
On y croise, au fil des rencontres, Christophe Tarkos, Christian Prigent ou Charles Pennequin. On écoute Radio Banquise. Quelque part, au loin, on entend des bribes de Divan le terrible de Jean-Pierre Verheggen. La silhouette de Mauricette Beaussart apparaît. Le 8/8/98, Patti Smith entre en scène à Dranouter (Belgique). Suel est là. Il capte tout. On se laisse guider. On siffle une bière de soif. On repart. On a envie d’ouvrir à nouveau des revues d’époque, de se remettre dans Java, Docks, Starscrewer et de glisser de Lyon à Marseille avec un détour par Rennes avant le retour au nord, là où il réside, s’arrête, se pose, là où il bloque sa boussole, là où il aime, jardine, écrit, traduit avant de refaire ses valises pour (toujours) repartir lire, échanger, dialoguer à l’hôpital, en prison ou en banlieue…
« 50 ans, impression d’en avoir 18 ! Voilà même que j’essaie une nouvelle fois de tenir un journal. Je faisais ça en 1967 à Avignon à la terrasse des cafés (toujours en buvant une bière). Ma valise déposée dans le chariot en montant à bord du Pride of Calais. Petite peur de ne pas la retrouver à Douvres. »
Ces fragments de vie jetés sur le papier sont rarement datés de façon précise. L’année compte plus que le jour. Celui-ci n’intervient que si un évènement s’y rattache, ainsi l’annonce de la mort de l’ami Pélieu le 24 décembre 2002.
Les pages du journal alternent régulièrement avec des séries de notes, réflexions, observations, évidences brèves qui s’affirment plus collectives que personnelles et où le « on » se substitue au « je ». Cette manière d’être soi parmi les autres et de relativiser bien des choses tout en s’interrogeant sur ce qui peut sembler banal (sans l’être) résume on ne peut mieux l’insatiable curiosité de Lucien Suel.
Quant à la bière, il aime qu'elle soit versée avec lenteur. Elle apaise. Elle calme. Il apprécie le vent du nord et les tintements d’abbayes qu’elle porte parfois en elle. Il n’hésite pas à en faire de la réclame. À petites ou grandes lampées, tout à la fois discrète, pétillante, blonde ou ambrée, elle désaltère, redore bien à propos certains soirs un peu gris et met sa bonne humeur à disposition du texte présent.
Lucien Suel : Les Versets de la bière (journal 1986 – 2006), éditions Dernier Télégramme.
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