dimanche 6 novembre 2011

La Palude

Daniel Garcia Helder, né à Rosario en 1961, est en Argentine l’un des poètes les plus novateurs de sa génération. La Palude, son premier livre traduit en France, nous permet de mieux approcher ces territoires situés entre zones industrielles et lagunes aux eaux grises et stagnantes où il aime vaquer pour y déceler tel ou tel élément susceptible de déclencher la venue d’un poème bref et circonstancié. Cela peut être un objet abandonné dans un terrain vague, un néon qui bouge et clignote dans la nuit, une tombe au « Cimetière des Dissidents » ou la vue du supermarché Makro qui se dresse au milieu d’une plaine côtière, tel un phare de béton, sur la route qui mène à la ville de Rosario.

Les entrepôts de banlieue, les ruines métalliques et les hangars éventrés où les herbes folles lèchent la ferraille et la rouille servent fréquemment d’appui à un paysage qui est tout à la fois réel et intérieur.

" Je ne suis pas enfant de mes parents mais de la rigueur
et je suis fatigué, la tête entre les mains
comme une noix ouverte."

Notant cela, Garcia Helder sait de quoi il parle. Sa génération est celle qui, après avoir grandi sous la dictature, a vu son pays s’effondrer économiquement et la pauvreté toucher le plus grand nombre. Ces friches disséminées qu’il dévoile en peu de mots, il sait qu’elles prolifèrent aussi dans les têtes, causant des dégâts irréparables, touchant le mental, l’intégrité, la personnalité même de ceux qui souffrent.

Si ces fêlures, celles de l’histoire récente et du présent qui en découle, n’apparaissent que de façon lapidaire dans ses textes, il ne les occulte pourtant pas. Elles restent perceptibles, se glissent dans des poèmes dont le centre de gravité se trouve ailleurs, plus précisément dans des lieux publics (garage, cimetière, hôpital, quartiers urbains, toilettes d’un bar) qui s’imposent à lui et qu’il décrit brièvement, déroulant, à la manière d’un William Carlos Williams ou d’un Wallace Stevens, dont on le sent parfois proche, des scènes concrètes.

" La rue est sale et en désordre,
branches se frottant comme des épées
à la hauteur de corniches et de balcons
où la pluie se résume
à un minimum de lumière, de gris sale
et un crépitement pareil à de l’huile de friture.
On voit la fausse manœuvre d’un camion
frigorifique, la porte arrière qui s’ouvre.
Une demi-carcasse suspendue à la barre
oscille, solitaire, sous le regard des gens.
Et il faudrait se dire qu’on ne l’emporte pas
à la boucherie, mais au garage
où a monté son atelier un naturaliste
tardif, un nouveau futur Rembrandt
qui à cette heure du point du jour
doit être après à nettoyer les pinceaux
sur la manche de sa chemise."

Poète du geste et du regard, Garcia Helder n’omet aucun détail et réussit à concevoir des séries de tableaux qu’il met lentement en mouvement. Le décor est volontairement pauvre. Situé dans des lieux qui le sont tout autant. À la périphérie des villes. Là où la mémoire semble s’être figée. Laissant émerger des pointillés de vie. Qui chez lui forment poèmes. Notes de veille. Et passages cloutés (ou ponts, passerelles) capables de relier un passé fragile à ce présent incertain qu’il ne cesse, dubitatif, d’interroger.

" Qu’est-ce que j’ai à voir avec ça.
Qu’est-ce que ça a à voir avec moi."

Daniel Garcia Helder : La Palude, traduit de l’espagnol (Argentine) par Vincent Ozanam, préface de Sergio Delgado, éditions Les Hauts-Fonds.

1 commentaire:

  1. En écho, cher Jacques, ce poème d'Ivo Lêdo. @+

    Plante de Maceio



    Le vent de la mer ronge les maisons et les hommes.
    ceux qui vivent ici, de la naissance à la mort,
    sont toujours couverts par un léger linceul de chaleur étouffante
    et d’embruns. Les dents de la mer
    mordent, jour et nuit, ceux qui ne cherchent pas à se
    cacher dans le ventre des navires
    et sont restés à sucer un soleil de sable.
    Pénétrant les rochers, la brise de mer
    brûle les poils des rats débauchés
    qui, dans les égouts, entendent le vomissement noir de
    l’océan disparu dans les poches de mangrove
    et je rêve de granges et de cales de cargos.


    C'est ici que je suis né, là où la lumière du phare
    aveugle et où dans la nuit des hommes s’estompent les hiboux.
    Le vent lèche les dragues pourries,
    pénètre à travers les persiennes des maisons qui suffoquent,
    écorche les dunes funèbres
    où les bouches des morts boivent la mer.
    Même ceux qui aiment cette terre de la haine
    sont toujours séparés par la brise
    qui sème l’insomnie chez les mille-pattes
    et trafique le fret des navires.


    Ici est ma place, enracinée dans mon sang
    comme la boue au fond de la nuit lacustre.
    Et au lieu de me détourner, je suis toujours ici
    et je serai ce vent léger et la lumière du phare,
    ma mort vit comme poissons rouges pris au piège.

    Ivo Lêdo, extrait de Requiem

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