La Schwambranie a été conçue entre hasard et nécessité, un soir où Lolia
et son frère Osska, mis au piquet par leur père pour avoir perdu la
reine d’un jeu d’échecs neuf que celui-ci, un colosse à la voix forte,
médecin juif exerçant à Pokrovsk sur la Volga, venait d’acquérir,
décidèrent, seuls dans leur coin, de s’évader en créant un pays
imaginaire où les enfants auraient toute leur place.
« Selon notre géographie, le monde était immense, mais il n’avait point de place pour les enfants. »
Vivant dans la Russie tsariste des années 1910, les inventeurs de ce
nouveau pays, le situèrent dans l’océan Pacifique, à l’est de
l’Australie, loin de leur propre territoire dont l’histoire, et les
bouleversements en cours, allaient pourtant déterminer en partie la vie
de leur minuscule paradis.
Quand la première guerre mondiale toucha l’Europe et la Russie, les
deux frères ne purent s’empêcher de s’inventer eux aussi des ennemis,
des batailles et des héros. Ils leur donnèrent le nom des médicaments
que prescrivait leur père.
En 1917, la révolution qui éclata en Russie se propagea également en
Schwambranie. Olia et Osska devinrent alors des défenseurs acharnés de
leur petite république de poche. Ils donnèrent libre cours, tout comme
leur père – qui devra bientôt rejoindre le front de l’Oural – à leur
enthousiasme révolutionnaire.
Ils vont bientôt confondre de plus en plus la réalité et leurs rêves
d’évasion. Les deux registres vont s’imbriquer et Léo Cassil, qui a
débuté en littérature grâce à Maïakovski, va déployer toute sa verve et
son ironie pour faire en sorte que ce voyage immobile et secret perdure
jusqu’à la fin du livre, autrement dit jusqu’à la mort (totalement
assumée) de tous les Schwambraniens.
« J’étais debout parmi ces cadavres imaginaires, les dépouilles mortelles de citoyens qui n’étaient jamais nés. »
Cassil s’écarte rarement de l’idée de jeu et de féérie qu’il essaie
d’instituer dans son roman. S’ il le fait, c’est pour saisir le
contraste qui existe entre l’utopie que ses héros réussissent à créer
(rencontrant quand ils le souhaitent Tom Sawyer, Oliver Twist, la petite
marchande d’allumettes ou les enfants du capitaine Grant) et celle que
les politiciens ne peuvent qu’entrevoir avant de la remiser
définitivement au placard.
« Hier, un train à traversé les tourbillons. J’ai couru à sa
rencontre. C’était un train de morts. Les malades avaient été gelés
pendant la route. On rangeait les cadavres sur le perron. Papa n’était
pas parmi eux. »
Le Voyage imaginaire a été découvert par Malraux lors de sa
venue à Moscou, en 1934, au congrès des écrivains révolutionnaires. Le
livre, publié en 1933, connaissait un grand succès. En 1937, suite à
l’arrestation et à l’exécution de Ossip, le frère de Léo Cassil (Osska
dans le roman), il cessa d’être imprimé et ne ressortit que vingt ans
plus tard, au moment de la déstalinisation, expurgé des passages où
était évoqué l’antisémitisme latent en Russie.
C’est la version intégrale de cette ode à l’enfance que publient les éditions Attila avec, en annexe, un appareil critique et
divers documents dont les armoiries de l’état et son drapeau original.
« Le souvenir de la Schwambranie est chose utile. Bien des gens parmi
nous vivent encore d’une double vie, mettent encore sous leur oreiller
la vraie cuillère avec laquelle ils espèrent manger la confiture des
songes. Ce sont des Schwambraniens qui s’ignorent. »
Léo Cassil : Le Voyage imaginaire, traduit du russe par Véra Ravikovitch et Henriette Nizan, dessins de Julien Couty, éditions Attila.
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