Oppède-le-Vieux,
11 juillet 1995. Il boit un verre en terrasse du Petit Café
où le chat Van Gogh ne cesse de se frotter la tête contre ses
sandales. Il est en compagnie d'une jeune femme blonde qui ne pipe
mot mais qui, captivée par ce qu'il dit, l'écoute et hoche la tête
en souriant. Lui, c'est le poète Henri Simon Faure. Qui est mort
dans la nuit du 9 au 10 janvier 2015 à Saint-Étienne, sa ville
natale.
Je ne
peux parler de lui sans revenir sur ce début d'après-midi estival
où je me trouvais assis à deux tables de la sienne, dans un décor
de pierres sèches écrasées de chaleur. L'homme, d'emblée, attira
mon attention. Sa façon d'être, sa tenue (chemise blanche largement
ouverte et pantalon de toile bleue) son visage (les yeux malicieux,
la barbe blanche bien taillée, le crâne dégarni luisant au
soleil) et son corps robuste respiraient le bien-être et la
sympathie. Un peu plus tard, après une balade dans les ruines du
village, nous le revîmes dans la ruelle du Portalet. Il se tenait
debout devant la porte de sa maison, torse nu, regardant loin devant
lui.
Je ne
savais pas à l'époque que celui que je venais de croiser à deux
reprises se nommait Henri Simon Faure. Si je connaissais un peu ses
poèmes, son visage m'était inconnu. Je ne l'ai découvert qu'il y
a quelques années, grâce à Éric Dussert et à son Alamblog, me
remémorant tout à coup ces moments brefs et décidant, dans la
foulée, de rattraper le temps perdu en lisant enfin comme il se
doit, livre après livre, l’œuvre foisonnante d'un auteur qui a
toujours voulu vivre et travailler à son rythme, en marge de son
gagne-pain dans l'électricité, ne s'imposant d'autres contraintes
que celles qu'il choisissait d'inventer.
Le
lire en intégralité fut longtemps assez difficile, tant ses
ouvrages se trouvaient éparpillés chez nombre d'éditeurs disparus, ainsi Le Cadran lunaire, Onan, Du Corps De
Garde, Chambelland, La Tour de Feu, La Main violette... Grâce au
travail entrepris par Edmond Thomas (Plein Chant) et Jean-Paul Louis
(éditions du Lérot) - ce dernier rééditant la plupart des titres épuisés
-, son œuvre est à nouveau disponible. C'est une belle invitation à
destination de tous les curieux désireux de sortir des sentiers
battus pour suivre un auteur qui agissait en forgeron de la langue,
brusque mais jamais brutal, espérant trouver des sensations plutôt
que de donner à tout prix du sens à ce qu'il fomentait dans son
arrière-boutique d'artisan. Il effleurait flore et faune et terre et
sous-sol des lieux qui lui étaient chers. À commencer par
Saint-Étienne et Oppède-le-Vieux. D'un côté l'enfance, la mine,
le parler Gaga du quartier du Panassa et de l'autre les roches rudes,
le soleil éclatant, les promenades ponctuées de surprenantes
découvertes, comme ce mouton crevé qui paya cher son désir de
liberté hors du troupeau et qu'il célébra dans son poème Au
mouton pourrissant dans les ruines d'Oppède. Il sondait ces
paysages aimés à travers le prisme du présent et de la mémoire.
Y ajoutait sa sensibilité, ses révoltes, ses fulgurances, ses jeux
de mots, ses aphorismes, ses illusions en berne et ses humeurs
fatalistes. Il n'appartint à aucun mouvement mais se montra à
l'écoute de ce qui s'écrivait çà et là, appréciant les
irréguliers et s'initiant à des techniques mixtes qu'il
personnalisait. Celui qui se disait « brocanteur de mots »
était d'abord un être généreux. Ses titres (qui le sont aussi)
incitent au partage. On y trouve, pêle-mêle : Tournance sur
un vieil escalier d'Oppède, Effet de cœur à droite, Mézigue ou le
métèque du Panassa,
trois paroles de vie (valent jeu) sept années d’écriture, le
boustrache sourd de la moustache du bougre ou
encore je
me brûle l’œil au fond d’un puits,
livre de deuil, écrit après le décès en décembre 1998 de sa
femme, le peintre Lell Bohem, à qui il consacra un essai en 1953
(édité par ses soins, via Le Cahier du bougre, à Saint-Etienne).
Tous deux reposent au cimetière d'Oppède-le-Vieux, près
de leur fils Daniel, peintre lui aussi, disparu en 2002. Cela
n'empêche évidemment pas la voix de celui qui aimait tant
l'églantine et l'aubépine, parce qu'elles savaient s'y entendre
pour attirer tout en se protégeant, de demeurer on ne peut plus
vivante.
Henri Simon Faure sur L'Alamblog
Henri Simon Faure sur L'Alamblog
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