Antoine Emaz le précise dès la première note de ce nouvel ensemble. Chez
lui, le poème ne répond plus. Quelque chose l’empêche de venir et il ne
sait (ne peut) expliquer ce blocage qui dure et qui pourrait entamer
sérieusement sa nécessité de « vivre-écrire » s’il n’y avait, pour
pallier ce manque et garder l’équilibre, l’écriture réconfortante et
régulière de ses carnets.
« Qu’est-ce que c’est ? Quelle part de ma vie ne passe plus, racle au
point que des coupe-circuits soient nécessaires pour me permettre de la
supporter ? »
Qu’on ne compte pourtant pas sur lui pour se plaindre. Cela est
ainsi. Ça lui pèse mais il fait avec et continue d’avancer sur un chemin
qu’il connaît bien, qu’il empruntait d’ailleurs déjà du temps où le
poème ne se dérobait pas, celui des carnets. Ceux-ci sont en grande
partie rythmés par ses lectures et par les réflexions qu’elles
suscitent en lui. Il s’y montre curieux et attentif, plutôt
bienveillant, perpétuellement à l’écoute des autres, suivant de près
chaque parcours, heureux d’ajuster sa pensée pour la rendre claire et
précise.
« J’aime bien me sentir dans la circulation des œuvres des autres.
Sans cela, j’aurais sans doute l’impression d’être formolé dans un
bocal. »
Ces notes, qui tournent autour de l’axe lecture-écriture, s’ouvrent
également à certains aspects du quotidien de l’homme Emaz. Il évoque
ainsi, sans jamais s’épancher, le travail qui parfois l’exténue, la
fatigue qui s’empare de lui chaque soir, son corps qui tombe malade,
mais aussi des moments de brève plénitude, dus à « la densité du
silence », ou à quelques « traînées roses dans le bleu passé du ciel »,
ou encore à un soleil de fin d’après-midi qui ne réussit pas à
« chauffer le vent ».
Un livre, tout particulièrement, l’accompagne lors de la rédaction de cet ensemble. C’est le Carnet de notes
de Pierre Bergounioux. Il y revient régulièrement. Se montre intrigué,
étonné et captivé par le travail de fourmi de celui qui pointe
minutieusement tous ses faits et gestes ainsi que les diverses
turpitudes de sa vie en parlant à peine de ses travaux et projets
littéraires. Emaz extrait çà et là quelques fragments du journal de
Bergounioux. Il les analyse, les commente, dit ses accords ou ses
réserves. Le suivre ainsi, lisant un autre, sur la durée, est tout
simplement passionnant.
« Distance et litote : il est "contrarié", "marri", pas en colère ou
énervé. Toujours des faits et une distance prise, comme s’il se voyait à
travers sa main d’écrivain. Du coup, il ne livre pas de l’intime brut
mais de l’intime décanté. »
Antoine Emaz
travaille au plus près de l’instant présent. Qu’il nourrit à sa façon.
"En lisant, en écrivant". En prenant, en recyclant, entraîné dans ce
mouvement essentiel et très tendu du « vivre-écrire », ce qui lui paraît
nécessaire pour tenir en restant perpétuellement en éveil et en alerte.
Antoine Emaz : Planche, éditions Rehauts.
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