L’œuvre du poète catalan Joan Margarit a été traduite dans de nombreux
pays mais elle était jusqu’à présent peu disponible en langue
française. L’anthologie publiée par les éditions Les Hauts-Fonds vient
combler ce manque. Elle permet de suivre de façon chronologique le
parcours du poète en donnant à lire de larges extraits de chacun des
treize recueils qui constituent sa bibliographie. On y découvre une
écriture simple, concise et narrative, faite de courts tableaux
autobiographiques qui disent les rudesses de la vie, le désarroi, la
tristesse de l’auteur et son besoin, quasi existentiel, de toujours se
regarder en face pour s’interroger et comprendre ces pensées néfastes
qui peuvent, en certaines circonstances, venir noircir son être
intérieur. Ainsi au sujet de sa fille Joana, née avec un lourd handicap
physique et mental, morte en 2001 à l’âge de trente ans, dont il parle
fréquemment, avec tendresse et douceur, tout en s’en voulant d’avoir pu
espérer sa disparition.
« J’écoute la Pathétique et je me vois
souhaiter que la mort de Joana
nous rende l’ordre et la joie
que nous croyions avoir perdus à sa naissance.
Mon amour, Joana, la tendresse
que je voulais tuer comme ces enfants
des tragédies, enfants coupables de menacer
l’avenir de leur bourreau.
Mes mains – comment ai-je pu les arrêter ? »
souhaiter que la mort de Joana
nous rende l’ordre et la joie
que nous croyions avoir perdus à sa naissance.
Mon amour, Joana, la tendresse
que je voulais tuer comme ces enfants
des tragédies, enfants coupables de menacer
l’avenir de leur bourreau.
Mes mains – comment ai-je pu les arrêter ? »
Si son extrême lucidité et son intégrité morale lui empoisonnent
(sans doute) parfois l’existence, elles lui ouvrent, en contrepartie,
des portes qui resteraient fermées s’il décidait de se mentir à
lui-même. De multiples scènes de la vie quotidienne sont ici placées
sous le signe de cette ambivalence. Le bien-être est souvent atténué par
une angoisse soudaine, une incompréhension susceptible d’enrayer
l’harmonie du couple, un souvenir peu rassurant (parfois lié à la
guerre, au franquisme, aux libertés cadenassées). Le dire par le biais
du poème lui paraît un cheminement naturel pour tenter d’ atténuer les
effets déstabilisants de cette intranquillité qui surgit à l’improviste.
« J’entends frapper à la porte et je vais ouvrir,
mais il n’y a personne.
Je pense à ceux que j’aime et qui ne reviendront pas.
Je ne referme pas. Je souhaite la bienvenue.
La main sur le cadre, j’attends.
La vie s’est appuyée sur la douleur
comme les maisons sur leurs fondations.
Et je sais pour qui je m’attarde, pour qui je laisse une lumière
accueillante dans la rue déserte. »
mais il n’y a personne.
Je pense à ceux que j’aime et qui ne reviendront pas.
Je ne referme pas. Je souhaite la bienvenue.
La main sur le cadre, j’attends.
La vie s’est appuyée sur la douleur
comme les maisons sur leurs fondations.
Et je sais pour qui je m’attarde, pour qui je laisse une lumière
accueillante dans la rue déserte. »
Est-ce que son métier d’architecte l’aide à mieux construire ses
poèmes ? C’est assez probable. Il fait souvent référence à son travail
(« pendant des années j’ai commencé ma journée / dans le désordre
organisé des chantiers ») et il y a dans la structure même de ses textes
des indices qui laissent penser que ces deux activités (qu’il mène sur
le terrain et sur le motif) restent pour lui indissociables.
« Les ouvriers à l’aube font un feu
avec des restes de coffrage.
La vie a été un immeuble en chantier,
le vent frappant au plus haut de l’échafaudage,
toujours face au vide, car on sait
que celui qui pose le filet travaille sans filet. »
avec des restes de coffrage.
La vie a été un immeuble en chantier,
le vent frappant au plus haut de l’échafaudage,
toujours face au vide, car on sait
que celui qui pose le filet travaille sans filet. »
Né en 1938, pendant la guerre d’Espagne, Joan Margarit
écrit à la fois en catalan (langue interdite sous Franco) et en
espagnol. « Chaque poème signale un événement de ma vie, mais mon
intention lorsque je l’écris va bien au-delà », dit-il. Ajoutant, dans
l’instant, que le poème, pour atteindre son but, doit nécessairement
se frotter à une autre sensibilité, celle de celui ou de celle qui, le
lisant, le fera vraiment exister.
Joan Margarit : Leçons de vertige, poèmes traduits du catalan par Noé Pérez-Núñez, Les Hauts-Fonds.
Il faut souligner, à l’occasion de la parution de ce livre, le rôle important joué par les éditions Les Hauts-Fonds dans la publication de poètes étrangers en France. Ainsi, récemment, l’écossais Hugh Mac Diarmid (1892-1978), avec Un enterrement dans l’île, poèmes traduits par Paol Keineg et le gallois R.S. Thomas (1913-2000) avec Qui ?, ensemble traduit par Marie-Thérèse Castay, Paol Keineg et Jean-Yves Le Disez.
Il faut souligner, à l’occasion de la parution de ce livre, le rôle important joué par les éditions Les Hauts-Fonds dans la publication de poètes étrangers en France. Ainsi, récemment, l’écossais Hugh Mac Diarmid (1892-1978), avec Un enterrement dans l’île, poèmes traduits par Paol Keineg et le gallois R.S. Thomas (1913-2000) avec Qui ?, ensemble traduit par Marie-Thérèse Castay, Paol Keineg et Jean-Yves Le Disez.
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