La légende a toujours été présente dans l’œuvre de Pierre
Autin-Grenier et celle de Zakhor, déclinée ici en dix séquences, en est
une belle illustration. Le personnage évoqué est intemporel. Il est
porteur d’énigmes. On ne sait d’où il vient. Il semble parfois un peu
fou. A l’air de s’y connaître en prédictions. Il parle aux chevaux et
s’avère capable, grâce à la pertinence de ses réflexions, d’ouvrir en
une seconde la part d’inconnu que chacun porte en soi.
« Souvent, par les fenêtres entrouvertes sur la lune naissante,
giclent au ciel des bandes de chats sauvages, toutes griffes tendues
vers les étoiles. »
Celui qui choisirait d’ignorer cette étrange vérité, énoncé d’un ton
calme et mesuré, un soir où les hommes s’en retournaient au mas en
suivant un chemin qui leur était familier, risquerait bien d’être
frappé de stupeur en voyant, un dimanche matin, un chat surgir d’entre
les jambes d’un encordé suspendu à une branche, à quelques mètres
au-dessus du sol.
Cet homme – qui n’est jamais nommé – perçoit des choses qui restent
étrangères à ceux qui le côtoient. Il s’exprime peu et ses paroles sont
empreintes de mystère. Ceux à qui elles s’adressent doivent les
interpréter en se détachant légèrement de cette terre qui les happe un
peu plus chaque jour et qui n’a de cesse de les aspirer totalement. Il
les met en garde et la plupart savent lui en être redevables. D’autres
s’en moquent.
« Les vieux et les femmes comprenaient l’urgence d’extirper de nos
cœurs indifférence et cruauté, ainsi l’on arrache le chiendent des
guérets. Les autres, dans son dos, à voix basse le traitaient d’innocent
et se gaussaient de ses balivernes. »
Il a débarqué un beau jour, s’est peu à peu imposé à tous et a
disparu comme il était venu, sans crier gare, en ne donnant plus jamais
signe de vie mais en laissant derrière lui des traces et des sentences
indélébiles. Que tous se remémorent de temps à autre, en particulier
quand le village se retrouve frappé par l’un ou l’autre de ces coups de
dé du destin qu’il avait plus ou moins prédits.
« Lorsque par une nuit de forte bourrasque celui qui dormait au
milieu des chevaux, le plus jeune des nôtres, succomba, alors on ne le
revit ; ni matin suivant ni autres matins. Depuis nous voici seuls face
au ciel vide, en vain cherchant à nous réconcilier avec les ombres ».
Publiés une première fois par la revue "L’Arbre à paroles" en 1996 en
Belgique, puis réédités en Allemagne en 2002 par les éditions "En
Forêt", traduits en allemand par Rüdiger Fisher et en italien par Fabio
Scotto, les textes qui composent Légende de Zakhor sont présentés
ici en quatre langues, la traduction en anglais, qui s’ajoute à la
précédente édition, étant réalisée par Dereck Munn.
Pierre Autin-Grenier : Légende de Zakhor, éditions Les Carnets du Dessert de Lune (couverture de Shahda)
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