Qu’un éditeur décide de créer une collection de poésie est chose assez
rare pour ne pas s’en faire l’écho. Celle que Le Réalgar a initié
s’appelle l’Orpiment. Elle a vu le jour à l’été 2016. Elle est dirigée
par Lionel Bourg. Chaque titre met en relation un poète et un peintre.
Leur association n’est jamais fortuite. Il existe entre eux des liens
ténus et subtils qui apparaissent au fil des pages. Seul le premier
titre de la collection, Et la mort comme reine, d’Olivier
Deschizeaux, échappe à la règle. L’unique intervention extérieure est
celle qui apparaît en couverture. Cela se comprend aisément. Le poème,
le chant de Deschizeaux (auteur, par ailleurs, de cinq livres aux
éditions Rougerie) est d’une extrême profondeur, né d’une douleur – et
d’une perte – et ne peut être interrompu.
« Maman est comme la nuit, elle s’éteint doucement, lentement, sans
un bruit, sans un cri entre ses quatre murs blancs, sans un regard,
notre vie si brève s’en va, maman est loin, ses paupières sont du sable,
de la poussière qui l’emporte sans promesse, sans un au-revoir, elle
part, et moi / dans cet enfer / ce monde sans avenir / que vais-je
devenir ? »
Entrer dans chacun des sept titres déjà publiés réserve autant de
bonnes surprises. La découverte est au rendez-vous. Les voix que l’on y
retrouve valent par leur différence, leur originalité, leur timbre
précis. Ainsi Antoine Choplin qui, en parallèle à son œuvre de
romancier (à La Fosse aux ours) prouve avec Tectoniques qu’il
peut lire, interroger et ciseler à coups de textes brefs ce qu’il voit
et ressent d’un paysage de montagne en perpétuel mouvement. Ainsi
Françoise Ascal, attentive aux autres, à ceux et celles qui l’ont
précédée et qui nourrissent sa mémoire. Elle poursuit, avec Entre chair et terre,
son exploration d’un passé qui la relie intimement à un présent dans
lequel elle essaie de détecter l’espoir fragile qui l’aidera à
traverser l’ombre tenace.
La phrase errante d’Alain Roussel est, quant à elle, libre,
lancinante et habitée. Elle se tient en légère apesanteur, devenant
sinueuse à souhait tout en restant bien en phase avec l’imaginaire
ébloui de celui qui a une grande aptitude à laisser voguer sa pensée. Il
parvient à lui donner des impulsions propices au décollage immédiat,
partant au quart de tour visiter des territoires qui croisent parfois
ceux de sa mémoire, de ses lectures ou de ses rêves éveillés.
« L’horizon est déchiré d’éclairs, l’on dirait que la mer s’enflamme,
que le ciel tout entier tombe dans le brasier, c’est dans ma bouche que
cela brûle et j’attise le feu avec ma langue, la charnelle, la
pulpeuse, fouillant les cendres, celles du vieux monde, et en moi une
soudaine envie, saugrenue, de danser la carmagnole comme un sans-culotte
de la poésie par ces temps d’apocalypse »
Avec Ce qui s’est passé, titre on ne peut plus explicite, Petr
Král nous guide vers d’autres destinations. C’est dans les centres
urbains qu’il nous emmène, au gré des retours sur soi et sur ceux qui
lui sont – ou lui furent – proches. Il revient, pour ce faire, sur
quelques unes de ses déambulations, dans les villes où il a vécu ou dans
celles où il a simplement fait escale. À chaque fois, ce sont de frêles
fragments de vie qu’il dessine. Avec en creux la présence de ceux qui
ne sont plus. Les nombreux disparus qui l’accompagnent de Prague (où il
habite désormais) à Paris où il a longtemps résidé.
Les deux récents livres parus dans la collection suscitent le même
attrait que les précédents. Deux voix sûres et posées s’y font entendre.
D’abord celle de Laurent Albarracin, qui continue de révéler la part
secrète des choses, des astres, des fleurs, des insectes, des abeilles,
des guêpes, des fruits, etc. Il les nomme, détecte leur sonorité, leur
transparence et l’évidence poétique qui s’en dégage.
« À la rivière se voue la rivière
pour ses rives elle se dévoue
au chemin d’eau qu’elle emmène
parmi les feuilles, les libellules
dans une grande conquête de rien
elle se lance à ses pentes
elle fait le doux sacrifice de soi
qui la fait couler rivière. »
pour ses rives elle se dévoue
au chemin d’eau qu’elle emmène
parmi les feuilles, les libellules
dans une grande conquête de rien
elle se lance à ses pentes
elle fait le doux sacrifice de soi
qui la fait couler rivière. »
Le dernier ouvrage en date, Zones d’arpentage et d’abornement,
est signé Lionel-Édouard Martin qui s’attache, comme dans ses
précédents recueils, à donner consistance et épaisseur à sa langue. Il
la travaille, la malaxe, l’assemble de façon étonnante, y fait entrer
un terreau à forte texture végétale. Il pétrit ainsi une matière dense
et suggestive, presque animale parfois, dans des textes en prose –
pleins d’humus, de frottements de pierres, de froissements d’ailes, de
rumeurs forestières – qu’il crée dans le secret de sa « boulange » de
mots.
Collection l’Orpiment : Olivier Deschizeaux : Et la mort comme reine, Antoine Choplin : Tectoniques (dessins de Corinne Penin), Françoise Ascal : Entre chair et terre (peintures de Jean-Claude Terrier), Alain Roussel : La phrase errante (dessins de Sandra Sanseverino), Petr Král : Ce qui s’est passé (peintures de Vlasta Voskovec), Laurent Albarracin : À (peintures de Jean-Pierre Paraggio), Lionel-Édouard Martin : Zones d’arpentage et d’abornement (encres de Marc Bergère), éditions Le Réalgar.
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