« Ces appartements vétustes sentent la pharmacie et la poussière, de grands salons, mais des cuisines et des salles de bain exiguës, des équipements fissurés, qui favorisent des écoulements. Des fauteuils et des divans, on voit les péniches sur la Seine, la Tour Eiffel ou le dôme de l’Hôtel des Invalides. »
Il y a l’ancien juge, la photographe, le conseiller d’état, l’antiquaire, le retraité de Gaz de France, le peintre, la morphinomane, celle qui fut miss Allier, celui qui connaissait Jean Guitton, bien d’autres qui égrènent quelques souvenirs de leur vie d’antan ou qui ne s’en rappellent tout simplement plus. Il y a les doux, les odieux, les racistes, les amoureux, les irascibles, les élégants raffinés, les petits bourgeois autoritaires et près d’eux, dans leur appartement de gens plutôt aisés, les salariés de l’association qui passent des heures, jour et nuit, au chevet de ces êtres en bout de course.
« J’explique le métier, les aides à domicile, des femmes, près de deux cents maintenant venues d’Afrique : Cameroun, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Togo, Maroc, Algérie, Tunisie mais aussi de Colombie, d’Iran, du Liban, de Roumanie, de Pologne, plusieurs, parfois, chez une même personne, la guerre entre elles quand la mort est là avec les esprits mal intentionnés qui viennent perturber les vivants, et les sorts. Dans mon bureau, on raconte ces dieux qui font souffrir, on pleure, j’écoute. Les décès, sept, huit, tous les mois. »
Outre l’immersion au sein de l’association, l’organisation mise en place, l’appui psychologique, l’investissement humain que nécessite ce travail de l’ombre et les frottements des différentes cultures – qui appréhendent la mort différemment –, la force du livre de Dominique Picard réside dans la parole donnée aux femmes qui assistent ces vieilles personnes, les voyant s’’étioler, s’éteindre et les accompagnant jusqu’au bout.
Kayi
« Même si ce n’est pas la même culture, ni la même langue, on parle
le même langage humain. On ne voit pas la couleur des yeux ni celle de
la peau, on ressent. »
Nadia
« L’accompagnement, c’est une qualité de présence, ce qui fait la
différence. On travaille dans une dynamique de mort mentale, ça devient
une politique de récession, donc de mort. Il faut faire connaître notre
métier et qu’il soit mieux payé. »
Jasmine
« Je ne fais plus cas au racisme, j’ai dépassé ce stade. J’aimais ses
sourires qu’il me donnait sans se forcer. Il disait "nègre" et à
Bichat, il n’a eu que ça. »
Sadia
« Les bourgeois, ils n’ont pas d’affection, ils n’ont pas le temps. »
Nicole
« Je l’aide et elle me répare. »
Asmaa
« La mort on y va tous, c’est comme un chat qu’on caresse, il faut l’apprivoiser. »
Ces dizaines de témoignages, qui croisent le fil narratif adopté par Dominique Picard, – à travers lequel elle donne du mouvement, de la vie et parfois même de la légèreté à un sujet pour le moins délicat – ouvrent de précieux espaces à la réflexion. On entre, concrètement, dans un monde peu connu en suivant celles et ceux qui nous parlent avec simplicité de leur travail près de ces êtres arrivés au soir de leur vie.
Dominique Picard : L'air du soir, éditions Le Bel été.
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