« j’écris d’une époque et d’un pays délirants qui entérinent des lois punissant de prison toute femme dont la grossesse a été interrompue. D’un endroit où une moitié de la population accepte de n’être bonne qu’à porter les générations suivantes et sanctionnée pour y faillir. Moi, je sais, je connais l’histoire effacée et l’effacement de l’histoire.
je sais. À une certaine époque, il n’y a pas si longtemps en vérité, on a dépossédé les femmes de leur corps. »
La révolte gronde, enfle derrière les murs où certaines des détenues s’organisent et entendent bien fissurer les briques de leurs cellules pour que leurs voix portent, parviennent à sortir et soient relayer par d’autres, au dehors.
Le second récit, plus long, est également porté par des femmes qui
s’organisent quand la plus jeune d’entre elles (GrandeEnfant, 16 ans),
abusée par Garçon, un jeune type du quartier, se retrouve enceinte. Les
faits sont exposés de façon factuelle, par paliers, à coups de phrases
nerveuses, avec minutie et efficacité.
Après la stupeur et le désarroi, place à l’action. GrandeEnfant ne veut
pas de cet enfant. Mère, sa mère (seule au foyer avec deux autres
gamines à charge) prend les choses en main. Elle contacte Collègue, puis
Secrétaire, puis Intermédiaire, puis Faiseuse, les différents maillons
d’une grande chaîne de femmes solidaires qui ont toutes souffert dans
leur chair, leur tête, leur quotidien.
« Secrétaire accepte de devenir momentanément Faiseuse. Accepte, elle en temps habituel si craintive et obéissante, de défier la loi. Et tant pis pour les cauchemars qui s’ensuivent, paniques de la dénonciation et des complications. C’est un risque à prendre pour guérir les enfances désastreuses, passées ou futures. »
Toutes seront dénoncées (par Garçon qui, pactisant avec les flics
après un vol de voiture, monnaie ainsi son impunité), poursuivies,
jugées, défendues par MaîtreAvocate (on pense inévitablement à Gisèle
Halimi) lors d’un procès retentissant (en réalité celui de Bobigny en
automne 1972) qui fera date dans la lutte pour le droit à l’avortement.
Caroline Deyns ne cite aucun nom. Ce n’est pas l’identité d’une telle ou
d’une autre qu’il faut retenir mais l’action collective qu’elles ont
initié. Elle retrace avec précision le long combat de ces femmes
anonymes. Son écriture incandescente, concise, haletante, nous plonge au
cœur de la lutte. Celle-ci, âpre et prenante, reste d’actualité.
Partout des êtres redoutables, mus par des idéologies qui le sont
autant, s’activent, peaufinent des projets de loi, préparent de
terribles retours en arrière en se trouvant souvent des allié(e)s de
circonstance.
« - N’oublie pas, jeune fille, que nous veillons. Et rappelle bien aux autres salopes qui te ressemblent, que toute loi est réversible. »
Caroline Deyns : MURmur ,Quidam éditeur
Trencadis , le précédent, très remarqué (et remarquable) roman de Caroline Deyns (autour de la vie, du parcours et de l’œuvre de Niki de Saint Phalle) ressort dans la collection Les Nomades (Quidam éditeur)
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