Parmi les poètes de la Beat Generation, Bob Kaufman (1925-1986) est l’un des plus toniques et intuitifs. Le poème, souvent écrit rapidement, d’un seul tenant, avec un rythme vif et syncopé, est d’abord destiné à l’oralité. Il faut que ça pulse. Que ça entre dans le corps et dans la tête de l’auditeur en misant sur la spontanéité et le rythme. Guider légèrement le texte mais sans le tenir en laisse afin qu’il embarque à bord qui il veut, qu’il saute d’une époque l’autre et même du coq à l’âne.
« Oh le Dieu-bus a un pneu crevé
Oh Atlantis est morte d’une maladie vénérienne
César s’est pendu à la boîte de Pandore
Mexique Mexique, emplis mes narines.
Rimbaud, toi maniaque génial, tortue du désert.
Arrête d’aguicher les chameaux, rend tes armes,
Nous sommes en retard pour l’affaire du lotus, sacrifice,
Après la Bacchanale, le corps saignera, sur nous. »
Il y a beaucoup de colère et de révolte chez Bob Kaufman. Elles sont amplifiées par ce qu’il vit, homme noir (arrière-petit-fils d’esclaves) dans une Amérique raciste, errant "dans les décombres du bric-à-brac moderne" après Hiroshima / Nagasaki et pendant la guerre du Vietnam. C’est dans le jazz et dans la vivacité de la contre-culture des années 1950-60-70 (au cours desquelles il fonde la revue "Beatitude" avec Allen Ginsberg) qu’il puise son énergie.
« Aujourd’hui en ces temps horribles, quand les souvenirs sombres reviennent
Ces moments secrets que nous voulons solitaires
Quand nous remontons le temps l’esprit coupable, nous échappant de nous-mêmes
Ils entendent un son familier,
Le Jazz, qui égratigne, creuse, teinte de blues, du jazz qui swingue,
Tu l’écoutes,
Tu le sens, & tu meurs. »
La seconde partie du livre, Jazz à Alcatraz, s’ouvre sur une autre facette de l’écriture de Bob Kaufman. Il s’adonne cette fois à la prose, lâche la bride et laisse aller son imaginaire en une longue et intense improvisation, en un solo qui tangue et voyage, s’immisce dans les couloirs sombres du monde ambiant en y allumant quelques lueurs pour ne pas se frotter plus qu’il ne faut à leurs redoutables aspérités. « Est-ce que l’esprit secret murmure ? », demande-t-il dans un long texte en apnée maîtrisée. La réponse n’est pas simple. Il l’esquisse en une douzaine de pages avant de repartir de l’avant.
« La route
Elle t’attrape
Et elle ralentit tes pas.
Oh Cléo. Elle savait
La route en Californie.
Quand vient l’automne ; le printemps
Elle savait
Les villes, les lumières, la musique
Et les Clochards Célestes. »
Bob Kaufman : Sardine dorée suivi de Plus de jazz à Alcatraz, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Schermesser, Le Réalgar, (collection Amériques).
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