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vendredi 14 mars 2025

Nature en décomposition

Il suffit d’un rien, une présence infime, un brin d’herbe qui bouge ou un lézard qui prend le soleil sur une pierre, pour attirer son regard et provoquer en elle l’envie de toucher, de comprendre, d’entrer en contact, de sentir ce que ressent l’herbe, la pierre.

« j’imagine une étreinte en regardant les pierres
leur vie intérieure

(elles forment l’enceinte, et nous pourrions y vivre) »

En une approche sensible, pour bien percevoir ce qui l’entoure, et dont elle est partie prenante, à savoir la nature, Camille Loivier choisit de décomposer quelques-uns de ces éléments qu’elle rencontre au fil de ses flâneries dans le grand dehors qui requiert son attention. Elle procède par cycles, s’attache à la vie, à ses réseaux invisibles, à la métamorphose de la pierre, du bois, de l’eau, de la terre, de la nuit, du feu et de l’air.

« l’eau pénètre les bottes par l’intérieur
peu à peu
peau contre peau
l’eau du corps
et l’eau hors du corps
se rejoignent »

Tout ce dont elle parle vit et peut être source de transfert d’émotions.

« l’eau remonte au bout
de la chaîne grinçante
et l’on boit avec l’eau
une solitude que l’on ne peut plus
extirper du corps »

Ses promenades, mises bout à bout, participent d’un cheminement intérieur qui se nourrit de ce qu’elle découvre (de vie, de mort, de résilience) en progressant pas à pas, page à page dans son livre, tous les sens en éveil, interrogeant ici la souffrance d’une montagne qui brûle (la main de l’homme doit y être pour quelque chose) ou là-haut le scintillement des étoiles dans un « ciel rempli de déchets ». Elle note ce qu’elle détecte dans une nature (sauvage ou domestiquée) habituée à se reconstituer. Pas de mots savants, pas d’envolée lyrique mais des moments simples, subtilisés à la roue du temps. Captés en un clin d’œil, elle les assemble, les travaille, leur rend (par ses vers, ses poèmes) leur vitalité. De nombreux oiseaux traversent ses textes. Et aussi sauterelles, reinettes, abeilles, grillons, couleuvres et autres bestioles.

« (le merle poursuit la hulotte à midi)
vie pour vie

n’être qu’un corps flottant dans les herbes dures
on efface la violence d’un trait
barrée

(elle-même se soustrait)

amoindrie
plus proche d’une branche de févier
du houppier d’un aulne
que d’un être humain »

Ouverte et délicate, dotée d’un timbre particulier et révélant une réconfortante douceur, la poésie de Camille Loivier ausculte les endroits où son corps la porte. Elle s’attache au moindre détail et donne à lire, à voir, à imaginer des fragments de paysages qui bruissent de vies multiples, minuscules et éphémères.

Camille Loivier : Nature en décomposition, éditions Backland.