Le secret se doit de rester secret et c’est probablement cette évidence
qui veut que le nom et l’adjectif qui se trouvent accolés en titre du
livre de Laurent Albarracin soient rigoureusement identiques. Ce n’est
d’ailleurs que la première évidence d’un ensemble où le poète en
détecte ou en crée bien d’autres. Il les saisit là où des sens moins
aguerris ne les percevraient peut-être pas. Il lui suffit, pour y
parvenir, d’isoler un objet, un outil, une branche, un rayon de lumière,
un animal sauvage, une ombre furtive ou telle ou telle chose et de
s’attacher, ensuite, à en capter les particularités premières.
« La roue s’engendre sans cesse
de ne pas pouvoir se dérouler
ni sortir du ventre de la roue.
de ne pas pouvoir se dérouler
ni sortir du ventre de la roue.
La roue est prisonnière de la roue
et ne connaîtra jamais du monde
que le grande roue de la route »
et ne connaîtra jamais du monde
que le grande roue de la route »
Il en va de même pour l’échelle qui « n’a pas ses pieds au sol / et
ses mains au mur » ou pour la chaîne qui « est chaîne par halage / et
par étirement / de la chaîne dans la chaîne » menant d’un « maillon à
l’autre » vers un puits où se perpétue « un trafic de seaux ». L’eau est
de tous les éléments auxquels Albarracin aime frotter son texte celui
qui revient le plus fréquemment dans ces pages. Elle apparaît dans un
mouvement régulier, sans cesse recommencé, ne se terminant jamais. À
l’évidence se joint aussi la permanence.
« L’eau est l’eau parce que l’eau
en permanence vient humecter l’eau
et passer une langue malicieuse
sur des lèvres délicieuses »
en permanence vient humecter l’eau
et passer une langue malicieuse
sur des lèvres délicieuses »
La logique ouvre ici de belles perspectives. Le verbe « être », très
présent dans le recueil, lui donne son assise tout en lui permettant de
s’évader (y compris via la métaphore mais pas seulement) si elle le
souhaite.
« La cascade est une barbe
courte et longue
dans la figure de la cascade »
courte et longue
dans la figure de la cascade »
Le détournement est souvent bref, concret et incisif. Ainsi « La
guerre est un château de sabres » quand « Le bâton est un serpent
bâté ». Albarracin prend tout ce que la langue, les mots, les
expressions usuelles et la phonétique lui offrent en calant ces dons
sur les réalités minutieuses d’un monde qui est là, à sa portée, sous
ses pieds, devant ses yeux, un monde qu’il aime interroger, d’abord pour
s’y sentir en harmonie, ensuite pour subtiliser à son apparente
immensité de l’infiniment petit et enfin pour retourner quelques unes
des pièces de ce puzzle avant de les redisposer à sa façon. Il ne perd
jamais de vue ce qu’écrivait Roberto Juarroz, qu’il cite, à dessein, en
exergue, à savoir que « L’envers de l’envers n’est pas l’endroit ».
L’étonnement, celui qui ne peut toucher que le curieux capable de
couper en lui la part d’ombre qui l’empêche si souvent de découvrir la
subtilité de la lumière, de la matière, des objets familiers et des vies
animales ou végétales qui l’entourent, cet étonnement, réactivé par le
poète Albarracin, mène aux secrets d’un monde qui n’est secret que
parce que les hommes (ici absents) ne s’effacent pas assez pour en
ressentir toutes les vibrations.
« Une lampe confuse
frotte au fond des choses
et les maintient à niveau
de limpidité
frotte au fond des choses
et les maintient à niveau
de limpidité
L’éclatant n’est rien d’autre
que de l’obscur mis au jour »
que de l’obscur mis au jour »
Le Secret secret est un livre rare et inattendu. Un intense et lumineux murmure qui échappe à l’air du temps et que Laurent Albarracin parvient à moduler avec précision.
Laurent Albarracin : Le Secret secret, Éditions Flammarion.
Depuis quelques années, l’auteur anime Le Cadran ligné, une collection de petites plaquettes où chaque titre (il y en a aujourd’hui 50 au catalogue) ne comprend qu’un seul poème.
Laurent Albarracin : Le Secret secret, Éditions Flammarion.
Depuis quelques années, l’auteur anime Le Cadran ligné, une collection de petites plaquettes où chaque titre (il y en a aujourd’hui 50 au catalogue) ne comprend qu’un seul poème.
Laurent Albarracin a reçu le prix Georges Perros pour Le Secret secret. Il vient, par ailleurs, de publier Résolutions (éditions L'oie de Cravan), un livre d'aphorismes où l'esprit vif qui l'anime est présent à chaque page, déjouant vérités et paradoxes avec entrain et bonne humeur.