Certains endroits nous ramènent inévitablement vers un passé qui nous
est devenu familier. Pour Christiane Veschambre, Versailles Chantiers
demeure l’un de ces lieux privilégiés. Ici s’est tissée, bien avant
qu’elle ne vienne au monde, une part de sa propre histoire. C’est en
effet sur les quais de la gare que se rencontrent pour la première
fois, le 24 décembre 1938, Joséphine T., qui arrive de Landéhen, près de
Lamballe, et Robert V., garçon de café dépêché sur place par ses
patrons pour accueillir la nouvelle bonne. Moins d’un an plus tard,
« Le 25 novembre 1939, Robert V.
et Joséphine T., respectivement
garçon de café et bonne à tout faire
employés, et logés, à La Jeune
France, l’établissement le plus
proche de la gare de Versailles
Chantiers, se marient. »
et Joséphine T., respectivement
garçon de café et bonne à tout faire
employés, et logés, à La Jeune
France, l’établissement le plus
proche de la gare de Versailles
Chantiers, se marient. »
Christiane Veschambre,
invitée (par la maison de la poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines) à
arpenter durant quelques semaines la gare et ses abords, débute son
texte par cette rencontre (celle de ses parents, Robert et Joséphine,
titre de l’un de ses précédents livres) avant de poser, avec retenue,
tous les éléments d’un ensemble qui va bouger constamment entre récit et
poème en associant scènes brèves, fragments de vies, évocations,
rencontres, va-et-vient entre passé et présent et judicieux points de
repères dans le temps et l’espace.
« Et à Versailles Chantiers où
sont les chantiers ?
Dessous. Sous les rails, sous
l’esplanade de la gare, sous
le bitume du parking, celui
de la rue des Chantiers, des États-Généraux,
sous le moulin à farines, et en deçà,
plus profond, en dessous de la terre recouverte par le bitume, sous
les couches déposées pendant trois
siècles, se trouvent les chantiers. »
sont les chantiers ?
Dessous. Sous les rails, sous
l’esplanade de la gare, sous
le bitume du parking, celui
de la rue des Chantiers, des États-Généraux,
sous le moulin à farines, et en deçà,
plus profond, en dessous de la terre recouverte par le bitume, sous
les couches déposées pendant trois
siècles, se trouvent les chantiers. »
Elle suit les réseaux souterrains de cette ville enfouie où furent
taillés, à partir de 1661, les pierres pour l’édification du château.
Elle rappelle les épidémies et le sort réservé par Colbert aux
milliers d’ouvriers qui s’échinaient (et pour beaucoup mourraient) au
travail. Elle plonge dans la mémoire familiale marquée par les guerres
et les séparations et crée de remarquables traverses (« venues de ces
choses (…) que sont le rêve, la mort, la coïncidence et l’oiseau ») qui
permettent au lecteur d’éprouver intensément la tension de ce quotidien
qu’elle lui offre, riche de nombreuses bribes d’histoires qui partent
toutes en étoile de Versailles Chantiers pour mieux y revenir.
Le livre (l’objet – très élégant – constitue l’un des trois premiers
titres de la collection Ligatures) donne, de plus, à voir une série de
photographies de Juliette Agnel qui a, elle aussi, explorée les lieux à
sa façon. Elle les saisit avec fragilité. En un léger et subtil
tremblement qui parvient à donner du mouvement à chaque image.
Christiane Veschambre : Versailles Chantiers, photographies de Juliette Agnel, éditions Isabelle Sauvage.