Elles se ressemblent. Habitent dans les quartiers modestes de Santiago ou à la périphérie de la ville. Elles s’expriment toutes à la première personne du singulier, sans fioriture et sans outrance, en s’arrêtant sur leur présent, leurs espoirs, leur détermination à ne pas s’en laisser compter et à poser des actes sur ce qui les motive.
Si le titre original, Quiltras, signifie bien bâtardes, il faut néanmoins lui attribuer un sens beaucoup plus large. Arelis Uribe s’en explique :
« Les cuicos (blancs des classes aisées) connaissent parfaitement leurs origines, contrairement aux quiltras. En mapudungun (langue amérindienne parlée par les Indiens Mapuche du Chili et de l’Argentine), quiltro signifie chien mais comme au Chili les indigènes sont méprisés, le terme signifie aujourd’hui chien sans race, sans classe, et tout ce qui est mélangé ».
Les huit femmes qui s’expriment ici sont issues des classes moyennes ou pauvres. Elles étudient ou entrent à peine dans le monde du travail. Elles aspirent à l’émancipation, découvrent de criantes inégalités, trouvent sur leur route de jeunes types fiers de leur virilité, n’acceptent pas d’être reléguées dans des cases spécifiques et l’affirment calmement, avec des mots simples, sans hausser la voix.
Ce sont ces voix que collecte Arelis Uribe. Des voix de femmes qui ne s’enflamment pas, qui ne sont pas dupes, qui ont besoin de se confier, de s’affirmer, de montrer qui elles sont, ce qu’elles font, ce qu’elles découvrent, de leur sexualité, de leur différence et des rejets qu’elles peuvent percevoir. Leur ressenti ne débouche jamais sur le ressentiment. Elles se savent néanmoins vulnérables. Et il leur arrive tout naturellement de se reconnaître dans le regard d’un chien perdu.
« Pendant les cent premiers mètres, j’entends des pas derrière moi. J’ai une boule au ventre. Je devine qu’il s’agit d’une bande de voyous avec des couteaux à cran d’arrêt ou du croquemitaine qui se masturbe, pantalon baissé. Je me détourne pour découvrir un chien des rues. Petit, noir, il remue la queue. Le typique animal qui surgit sur votre route, un de ces chiens errants que l’on trouve par hasard, comme les pièces de monnaie et les billets, et qu’on ne reconnaît pas quand on les revoit. »
L’écriture de Arelis Uribe est faite de phrases courtes, empreinte d’une fraîcheur et d’une nervosité qui procurent à ses récits un élan dynamique. La force de son livre, qui donne la parole à celles qui, d’ordinaire, n’apparaissent pas (ou peu) dans la littérature chilienne, tient à la façon, très subtile, qu’elle adopte pour montrer sans démontrer, pour dire, scènes quotidiennes à l’appui, combien il est difficile de vivre sereinement et de trouver sa place dans une société qui n’en finit pas d’exclure, de déclasser, de discriminer.
Arelis Uribe : Les Bâtardes, traduit de l’espagnol (Chili) par Marianne Millon, postface de Gabriela Wiener, Quidam éditeur.
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