James Sacré écrit quelque part dans son livre que celui-ci a « peu à  peu fait son chemin ». En réalité, il vient de loin. Il trouve sa source  dans de précédents et déjà très anciens recueils. Il y travaillait  depuis de longues années, sans jamais perdre le fil, offrant depuis 1991  quelques extraits   à lire en revues mais ne dévoilant, finalement,  presque rien de  la somme que l’on découvre aujourd’hui.
L’ouvrage avoisine les 350 pages. Il est constitué de 47 séquences introduites par des titres souvent très expressifs : Va  pas croire que le monde attendait tes mots, Un drôle d’emploi du mot  désert, Le roulement des camions dans la solitude à Holbrook, Un peu de  maïs et des prières pour la pluie, Façons de fête et pas vraiment à  Santa Fe... Chacune d’entre elles  marque  une étape du périple  désordonné que l’auteur et  sa femme américaine ont réalisé, au fil du  temps, à travers un pays trop vaste pour être écrit et décrit de long en  large. Ce n’est d’ailleurs pas  ce que recherche James Sacré. Ce qui  l’anime, c’est cette nécessité de nouer, où qu’il se trouve, une  relation infime entre le monde et les mots en créant  un maillage à  peine visible mais précis pour relier  son regard au paysage et joindre,  quand cela se peut, dans l’éphémère, par simples ricochets de la  pensée,  l’instant présent  à un fragment de sa mémoire...
« Le temps parti ailleurs et pourtant là, on l’entendait hier soir à la nuit venue 
Remuant dans le feuillage étoilé des touffes de creosotes
Et jusque dans le ciel quasi pleine lune :
C’était pareil qu’à Cougou, entre les granges qu’on ne distingue plus
Et quelques grands arbres.
À cougou où n’importe où.
Quand le monde semble enfin se reposer et penser plus finement. »
Remuant dans le feuillage étoilé des touffes de creosotes
Et jusque dans le ciel quasi pleine lune :
C’était pareil qu’à Cougou, entre les granges qu’on ne distingue plus
Et quelques grands arbres.
À cougou où n’importe où.
Quand le monde semble enfin se reposer et penser plus finement. »
Chaque halte est l’occasion de se poser, de se mêler aux autres, de  prendre ses marques dans un lieu en n’oubliant pas que celui-ci a une histoire,  une mémoire particulière que l’homme de passage ne peut saisir que  partiellement. Là où il s’arrête, il regarde, touche, interroge et  avance en faisant humblement grincer la langue, notant, écrivant,  repérant des détails qui vont l’aider à dire l’endroit en changeant  constamment d’angle de vue et en donnant, par le menu, en tâtonnant, en   ne négligeant rien, de la densité à ses escales.
On le suit longuement dans les territoires indiens. Il y fait de  nombreuses incursions. Sait que l’ancrage  initial se trouve là. Loin  des clichés. De plein pied dans la réalité. Dans la restitution lente et  plus qu’aléatoire et souvent jamais venue des terres confisquées.
« Au pays des Comanches, des Comanches 
On n’en voit plus, presque plus.
Les Mohicans sont disparus,
Les Séminoles... et cetera. »
On n’en voit plus, presque plus.
Les Mohicans sont disparus,
Les Séminoles... et cetera. »
Il associe le lieu où il se trouve et la mémoire, même secrète, et  parfois gommée, qui s’y attache.  Pour cela, il lit, se documente,  engage la conversation. Il fait de fréquents retours en arrière. Et   procède plus à la manière d’un peintre (avec carnets, esquisses,  croquis, travaux en cours) que du  photographe qu’il lui arrive d’être,   fixant alors en un quart de seconde un décor qu’il fera ensuite bouger à  sa convenance dans les mots.
« À chaque fois que j’ai envie de prendre une photo, ou que j’en prends une 
Je "vois" qu’il y aurait un poème à écrire
Mais pas facile de mettre ensemble d’un coup des rythmes et des phrases, et faire en sorte
Que de la figuration y soit en même temps un bon support pour l’imagination
Comme dans une photo. »
Je "vois" qu’il y aurait un poème à écrire
Mais pas facile de mettre ensemble d’un coup des rythmes et des phrases, et faire en sorte
Que de la figuration y soit en même temps un bon support pour l’imagination
Comme dans une photo. »
Ce pays  où le « voilà mal ou bien vivant depuis vingt-huit ans »,  James Sacré   le sillonne en zigzag, avec la lenteur qu’il faut pour  s’imprégner  des terres, montagnes, déserts et villes où il  séjourne, se rendant  au  café, au restaurant, au musée, au camping, partout où il est sûr de  pouvoir rencontrer quelques uns de ceux qui y vivent. Ceux qui ont tant  de mal « à mettre ensemble » leurs solitudes.
Le livre est parfois traversé par la présence de son père qui  revient, à l’improviste,  le saluer là-bas. Soulevant des morceaux  d’enfance. Qui se décollent. Et qui, à cause d’une couleur, d’un outil,  d’un insecte, d’un arbre, se promènent eux aussi  en Amérique,  invisibles, cachés dans ce bagage  immatériel qu’il porte partout où il  va.
« C’est une route comme si 
Entre Cougou et Vieille-Castille avec évidemment
Quelque chose de l’Ouest américain.
Les toits de zinc en partie rouillés font penser
Aux tôles des hangars chez mon père, une pie
Et de la chicorée sauvage fleurie, en bord de route. »
Entre Cougou et Vieille-Castille avec évidemment
Quelque chose de l’Ouest américain.
Les toits de zinc en partie rouillés font penser
Aux tôles des hangars chez mon père, une pie
Et de la chicorée sauvage fleurie, en bord de route. »
James Sacré : America solitudes, éditions André Dimanche. 

 
 
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