James Sacré a longtemps sillonné les routes américaines. Ses longs et minutieux périples se retrouvaient déjà au cœur de l’imposant America Solitudes. Cette fois, son voyage se fait de façon tout aussi précise mais plus directe. Deux éléments, liés au regard et à la route, servent d’appuis (et peut-être aussi de déclencheurs) à son projet. D’abord le livre Mobile (sous-titré Éléments pour une représentation des États-Unis) que Michel Butor publia en 1962, jouant sur l’homonymie des noms de villes des différents états pour jeter les bases de ses parcours listés, sinueux, concrets, détaillés, et ensuite le rôle essentiel, presque de tissage du territoire, qui est celui des grands camions colorés chargés de relier les différents points du continent en roulant d’une ville à l’autre, traversant les paysages sans les voir et emportant avec eux, dans leur fumée, dans leur chant lancinant, un peu des rêves de ceux qui les regardent s’éloigner et disparaître derrière la ligne d’horizon.
« C’est évidemment sur les grands axes routiers
Qu’on voit lancée toute leur force
Mais souvent les voilà où tu n’aurais pas cru, par exemple
La route quittée, sur une étroite bande de terre labourée
Juste avant d’arriver au pueblo de San Felipe
Une cabine motrice blanche avec sur le plancher de la remorque
Un tracteur agricole jaune l’ensemble
Sur un fond gris sali de vert, collines basses
Et l’ampleur du ciel au-dessus, ou l’ampleur du temps. »
La complicité entre Butor et Sacré est discrète mais très présente. Des fragments de Mobile prennent place dans le texte et l’ensemble donne à voir une série de photos réalisées par Butor aux États-Unis entre 1960 et 1965. Photos de villes où les camions ne sont pas visibles. Leur circulation n’a lieu que dans les poèmes. C’est là que James Sacré les cadre en un clin d’œil. Il surveille les aires de repos ou les parkings de restaurants pour poser son regard et ses mots sur les couleurs et leurs contrastes, sur les chromes qui brillent au soleil, sur les hauts pots d’échappement en forme d’oreilles dressées de part et d’autre du capot, sur « le museau carré », sur le nez busqué et grillagé, sur les cabines aménagées, sur les longues remorques de ces bâtiments silencieux qui bientôt vont se réveiller, repartir, bondir, rouler sur la route 66 ou plus loin encore, dans « les solitudes du Malpays »,
« Vont-ils vraiment
Tirer avec eux tout ce mauvais pays de laves noires et de genévriers
Jusqu’à Boston ou Chicago, jusqu’à Philadelphie ? »
Sacré aime sentir les camions se glisser et bouger dans ses poèmes. Il remplace parfois à distance des conducteurs « pas visibles dans leur cabine haut fermée ». Dans son livre, le trafic est soutenu. La mécanique répond au quart de tour. C’est « un cœur qui bat fort ». Qui rythme le travail incessant et le roulement permanent de ces véhicules qui traversent son imaginaire.
James Sacré : Mobile de camions couleurs, photographies de Michel Butor, Éditions Virgile.
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