Si l’automne a toujours été très présent dans l’œuvre de Jean-Claude Pirotte, dans ce livre-ci il semble bien vouloir prendre ses aises et même s’installer à demeure. Un peu comme s’il voulait suivre au plus près ce que précisait Jean Grosjean, si justement cité en exergue, dans Les Parvis : « L’octobre comme un navire / Va vers les derniers rivages ».
Revermont, la contrée qui donne son titre au livre, c’est d’abord un lieu étendu entre montagne et vallées, décor escarpé du vieux Jura, paysages rudes et âpres où les vignes apportent parfois chaleur, douceur et répit. C’est aussi, et durant de longs mois dans l’année, une région où, préparant les mauvais jours (qui viennent tôt), des images que l’on croyait encore lointaines refont surface. Avec leurs cargaisons de bois que l’on stocke et les inimitables « manchons tricotés » qui iront calfeutrer le dessous des portes. C’est dans ces parages incertains et isolés que vit Pirotte.
« c’est dans l’hiver d’Arbois
rue du Montot que je gîte ».
De là qu’il donne de ses nouvelles. Elles ne sont pas franchement bonnes. Il est calé à sa table, face à la fenêtre donnant sur la rue. « J’écris ce que je vois / pour ne pas disparaître », dit-il, se comparant tantôt au « cheval boiteux » qui « rêve à l’écurie » (« le cheval fourbu / c’est moi tout craché devant l’écritoire »), tantôt au « vieux montreur de marionnettes / que jamais personne n’a vu / et qui redit le même texte » jusqu’à ce qu’une main inconnue coupe les fils.
« je vis reclus parmi les ombres
plus présentes que les vivants
et si cette chambre est ma tombe
je vis ma mort depuis longtemps. »
Ses dialogues, ses adresses, ses pensées vont d’ailleurs essentiellement vers des auteurs morts (Thomas, Perros, Frénaud, Michaux…) qui ne cessent de l’accompagner et dont les livres, il en est persuadé, sauront un jour se rassembler pour inventer cette fragile passerelle qui lui permettra de passer lui aussi d’une rive à l’autre.
Il y a de la mélancolie dans ces textes. De la colère également. Mais peu de désillusions : Pirotte sait que la réalité et le passé ont une terrible capacité à rogner les ailes de l’utopie et que face à ce travail de sape le rêve ne peut pas se hisser très haut.
Çà et là, des séquences enfouies dans l’enfance reviennent. Toutes mettent en scène la mère de l’auteur d’ Une adolescence en Gueldre. « Je ne suis qu’un drôle d’oiseau / c’était l’opinion de ma mère ». « Tu devras réfléchir / à ce que tu vas faire / ainsi parlait ma mère / je n’ai pas connu pire / individu que toi ». « Reviens sur terre disait-elle ».
Écrit durant l’automne 2007, ancré dans le paysage (« en face le carreau / du toit capte un dernier / reflet du jour d’octobre ») et dans le quotidien tremblotant et habité d’inquiétude qui est alors celui de Pirotte (« ce soir j’entends couler / de la plaie du sol une eau noire »), cet ensemble, que les fantômes traversent en coup de vent, sinue entre regrets et humilité pour aboutir à une acceptation de ce qui est. Sera. Et un jour ne sera plus.
Jean-Claude Pirotte : Revermont, éditions Le Temps qu'il fait.
Le prix Apollinaire 2011 a été décerné à Jean-Claude Pirotte pour ses deux récents recueils : Autres séjours (Le Temps qu'il fait) et Cette âme perdue (Le Castor astral).
Bonjour Jacques,
RépondreSupprimern'en déplaise à la lettre de "Sitaudis" parue et reçue aujourd'hui(???, je dirais que cela fait du bien de voir qu'un poète tel que celui-ci reçoit le prix Apollinaire...
"Ancré dans le paysage", et un seule mage comme "la plaie du sol" emporte qui emporte tout.
Prix ou pas.
merci.
Anne Ansquer