Ce sont, dit-elle, de « petites choses vues, sues, ou tenues ». Des pierres, des plumes, des dents de singe, une momie de rat ou une omoplate de cétacé par exemple... Toutes sont déposées dans des boîtes placées sur des étagères, derrière des vitres. Reste à redonner vie, corps, - et matière à rêver - à ces objets rapportés. Autrement dit, reste à remuer un peu de leur histoire, à évoquer, décrypter ce que leur mémoire peut léguer au présent. C’est ce à quoi s’applique Anne-Marie Beeckman en s’appuyant, la plupart du temps, sur un trait, un éclair, un éclat de sensualité ou un regard appuyé à son bestiaire intime pour créer, à coups de tableaux lapidaires et furtifs, un ensemble propice à de simples fugues hors de (et en) soi. Elle en tisse l’écheveau à sa manière. Y mêle tout à la fois patience et vivacité. Son écriture (crochetée, « tango thorax ») danse, légère, efficace. Et prolonge ce qu’elle n’a pas envie de voir disparaître, ce petit « butin » pour lequel non seulement elle « scie des étagères » mais qu’elle a auparavant pris soin de ramener elle-même dans ses filets.
« Je ne possède pas l’oiseau, j’ai sa plume. Pas la montagne, le caillou. Pas l’arbre, un peu d’écorce, des fruits curieux. Pas le temps, le fossile. Je dispute à la mort de petits squelettes. »
Ceux-ci bougent, loin des cimetières, devenant ici poèmes vifs et tendus. Objets animés (Il s’en va, celui reproduit en couverture est de Louis Pons) à agrafer, telles des légendes, près des boîtes trembleuses.
En 2002, la parution du Vestiaire des vagues (également à l’Atelier de l’agneau, premier ensemble d’importance d’Anne-Marie Beeckman, regroupant plusieurs titres publiés auparavant en plaquettes, avait permis de mesurer l’acuité d’un regard qui, loin de se laisser happer par l’émotion, entend au contraire contenir celle-ci (sa violence possible, ses réflexes, son côté braque) pour pouvoir la mettre en scène avec minutie dans des contes, des vignettes et poèmes brefs couvrant tous, ou presque, le vaste champ du désir.
Alain Joubert, l’auteur du très documenté Mouvement des surréalistes ou le fin mot de l’histoire chez Maurice Nadeau en 2001, ne s’y est pas trompé, évoquant à l’époque, dans La Quinzaine littéraire, « la féminité en alerte, le désir en feu, la joie de l’effervescence du lit, la férocité du plaisir et la morsure de l’amour » qui circulent dans les courtes proses de ce poète dont on parle, par ailleurs, assez peu.
« Reste un écart des jambes, ce chiffon rouge sur tes fesses. Et la raison est une résignation. »
A laquelle Anne-Marie Beeckman n’entend pas se soumettre.
Anne-Marie Beeckman : Les boîtes trembleuses, édition L'Atelier de l'agneau.
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