L’histoire est souvent présente dans les textes de Marie Cosnay. Elle
l’est également dans ce nouveau roman dont le cœur bat au rythme de la
semaine sanglante qui marqua la chute de la Commune, en mai 1871,
décimant en grande partie la classe ouvrière de l’époque.
Puisant aux sources, relisant en particulier les témoignages
recueillis sur place par Prosper-Olivier Lissagaray, elle bâtit son
roman en en éparpillant les séquences, leur faisant parfois prendre
l’air d’un autre temps, façon de montrer (en évoquant l’engagement de
l’italien Elio Vittorini et celui de l’espagnol Ramon Sender
dans leur combat contre le fascisme et le franquisme) que la manière
dont fut réprimée cet événement a, depuis, été fréquemment utilisée.
" Vingt sept ans après les événements de 1871, Lissagaray s’explique dans la Revue blanche.
L’historien à qui Marx refusa la main de sa fille cadette résume ainsi
les causes de la chute de la Commune : n’avoir pas occupé le Mont
Valérien. Avoir attendu le 3 avril pour marcher sur Versailles. Avoir
laissé le comité central s’ingérer dans les affaires après les
élections. Légiférer et légiférer alors qu’il fallait combattre."
Ce que décrit Marie Cosnay, c’est l’avancée, sur tous les fronts, des
soldats des troupes versaillaises qui ont en charge de réprimer la
Commune en ne faisant aucun prisonnier. Les insurgés résistent comme ils
peuvent. Les autres avancent. On tue à tour de bras. On exécute au Père
Lachaise, à Montmartre et aux Tuileries.. On fusille au Luxembourg,
dans la cour du Sénat ou le long du mur de la prison de la Roquette.
« Boulevard Malesherbes, les Versaillais tirent sur les fédérés qui
tombent les uns après les autres ». L’un d’entre eux affronte le feu des
balles en criant « à notre humanité ». La Seine prend des teintes de
plus en plus rougeoyantes. Là où les barricades brûlent, des centaines
et bientôt des milliers de morts jonchent le sol. On vide son chassepot
sur le corps des gisants qui n’ont pas encore tout à fait cessé de
respirer. Ainsi Nathalie, qui se jette aux pieds de son mari Édouard que
l’on vient d’abattre contre le mur de la prison. Une première balle a
« fait danser » son corps. Le soldat a pitié. Cela ne l’empêche pas de
tirer une seconde fois sur la jeune femme qui tressaute et meurt en
quelques secondes.
Cette histoire dans l’histoire, celle d’un couple exécuté parce
qu’Édouard, le révolutionnaire, l’internationaliste, a été dénoncé par
sa propre belle-sœur pour que Emmy, leur fille de six ans, puisse avoir
la vie sauve, court tout au long du roman.
" Emmy ne se lasse pas d’entendre, dix ou quinze ans plus tard, sur
le bord du canal où ils viennent pour leur satisfaction, les bourreaux
en confidence."
L’enfant qui eut la vie sauve en 1871 et qui finira par sombrer dans
la folie erre, dans les années 1885, 1890, au bord du canal de l’Ourcq
où elle offre son corps aux soldats en leur demandant, en échange, de
lui raconter les souvenirs de leur massacre.
" Elle les reçoit. Ils parlent. Elle prend note de leurs confus
souvenirs et malheureuse fierté dans un cahier qu’elle appelle registre
et qu’elle cache entre sommier et matelas."
L’écriture de Marie Cosnay
est sensible et nerveuse. Elle passe de l’âpreté à la douceur et
réussit, grâce au souffle qu’elle insuffle à ses phrases et à la belle
alchimie qu’elle créé entre ses références et son imaginaire en éveil, à
tisser les lambeaux (il ne peut pas en être autrement) d’une histoire
qui déborde et dépasse celle qui sert, au départ, de cœur à l'ouvrage.
Marie Cosnay : À notre humanité, Quidam éditeur.
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