Invité à suivre, trois siècles après sa naissance (le 28 juin 1712 à
Genève), Jean-Jacques Rousseau dans sa vie nomade en s’arrêtant plus
particulièrement sur ses nombreux séjours dans ce que l’on appelle
aujourd’hui la région Rhône-Alpes, Lionel Bourg a choisi de s’appuyer
sur les textes en les associant (en les frottant même) aux paysages qui
les traversent et aux émotions vives que ressentait à leur contact
celui qui aimait tant mêler son monde intérieur et ses longues marches
en terrains escarpés. Cela lui permettait de penser, de rêver, de
composer, d’herboriser, de botaniser et d’éclaircir un quotidien que sa
grande aptitude à vagabonder hors des sentiers battus se chargeait par
ailleurs d’assombrir assez souvent.
« Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs,
des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des
précipices à mes côtés qui me fassent bien peur ».
C’est ce Rousseau indépendant, libre, un rien casse-coup,
multipliant les découvertes et les rencontres, voulant satisfaire son
insatiable appétit de vivre et de savoir que Lionel Bourg nous aide à
redécouvrir. Il préfère partir sur les traces d’un homme qui, par bien
des côtés, lui est proche, sûr d’y retrouver des itinéraires qui lui
sont également familiers, plutôt que d’entreprendre une énième
biographie.
C’est le touche-à-tout sensible, l’orphelin fugueur (il a neuf jours
lorsque sa mère meurt) qui ira parfaire son éducation sentimentale chez
sa tutrice et maîtresse Madame de Warens aux Charmettes avant
d’assouvir plus encore ses désirs chez Madame de Larnage (à qui il sera
redevable, dira-t-il, « de ne pas mourir sans avoir connu le
plaisir »), c’est cet écrivain subtil, qui parvient à mettre des mots
simples sur les émotions les plus contradictoires, qu’il prend pour
guide.
Leur périple se fait au présent, dans des territoires où les chemins
creux et les monts ou montagnes possèdent cet inestimable avantage de
retarder au maximum l’arrivée dans les grandes villes (Annecy, Chambéry,
Valence, Grenoble ou Lyon) en étirant d’autant leur impérieux besoin de
solitude. Les retours en arrière et les moments-charnières qui marquent
l’existence et l’œuvre de Rousseau sont fréquents et documentés. On ne
peut faire route avec l’écrivain, le philosophe, le musicien, l’auteur
des Confessions ou des Rêveries d’un promeneur solitaire mais aussi celui du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ou Du contrat social
sans expliquer ce qui, dans le parcours de cet autodidacte, a pu
générer de tels textes. Lionel Bourg, pour ce faire, prend le temps de
se replonger dans les livres, de les replacer dans leur contexte en
s’attardant sur les liens, non pas permanents mais réguliers et
ponctuels, qui créent une solide passerelle entre la vie et la
création.
Si Rousseau fut toujours itinérant, la région Rhône-Alpes reste celle
où il aura passé le plus de temps. Entre 1728 et 1742, il y séjourne
longuement. En 1768, « proscrit, indésirable à Genève même, où l’on
brûle ses livres », il y revient, s’arrêtant en divers endroits,
notamment à Bourgoin et à Monquin avant de poursuivre sa route...
« L’homme qui, le 13 août 1768, prend pension à La Fontaine d’Or,
maison calme, réputée de Bourgoin, a franchi le cap des cinquante-six
ans.
Il est las. Déprimé.
Plus malheureux que ces pierres qu’il martyrise du bout de sa chaussure. »
Il est las. Déprimé.
Plus malheureux que ces pierres qu’il martyrise du bout de sa chaussure. »
Il lui reste dix ans à vivre. Et ces années-là lui seront souvent pénibles...
C’est le parcours précédent, celui des promenades solitaires, celui où le sentiment géographique rejoint le questionnement social et politique, que Lionel Bourg entend d’abord saisir, y insérant avec parcimonie des fragments relatifs à son propre cheminement, y ajoutant quelques pages pour dire son empathie et d’autres encore, extraites d’un carnet de route qu’il a tenu pendant son périple.
C’est le parcours précédent, celui des promenades solitaires, celui où le sentiment géographique rejoint le questionnement social et politique, que Lionel Bourg entend d’abord saisir, y insérant avec parcimonie des fragments relatifs à son propre cheminement, y ajoutant quelques pages pour dire son empathie et d’autres encore, extraites d’un carnet de route qu’il a tenu pendant son périple.
Parallèlement à ce volume, L. Bourg publie L’Irréductible, un texte bref, également consacré à l’auteur de La Nouvelle Héloïse,
plus précisément situé dans les « villages rudes, composés d’ingrates
maisons bâties de schiste ou de granit » où ses pas le mènent
régulièrement. L’’empathie fait ici corps avec la hargne, la colère,
l’envie d’en découdre, de taper du poing sur la table et de remettre,
tant au dix-huitième siècle qu’au vingt-et-unième, les choses en place
et en perspective. Cette prose, menée à train d’enfer, brosse en moins
de trente pages un portrait vif et réussi, celui d’un homme à qui il
aura manqué un peu plus d’une décennie pour atteindre 1789 mais dont
l’ombre, parfois incarnée, n’a pas fini de hanter, certains soirs, les
esprits de ceux qui s’en iront flâner du côté du Mont Pilat et
d’ailleurs.
Lionel Bourg : La croisée des errances, dessins de Géraldine Kosiak, Éditions La Fosse au ours, L’Irréductible, Éditions La Passe du vent.
Lionel Bourg : La croisée des errances, dessins de Géraldine Kosiak, Éditions La Fosse au ours, L’Irréductible, Éditions La Passe du vent.
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