C’est dans le village de Nas, sur l’île d’Icaria, en mer Égée, que Marc
Le Gros s’installe pour reprendre contact avec les routes, les criques,
les pinèdes, les chemins abrupts ou les terrasses bien étagées qu’il
redécouvre à chacune de ses escales. Dès qu’il quitte le navire de la
ligne Egéion Samos, après avoir jeté « un regard distrait sur la
vieille taverne bleue d’Aghios Kirikos », c’est pour prendre la
direction d’Armenistis et rejoindre à la hâte son lieu de villégiature.
« À vrai dire Nas n’est qu’une simple crique à peine large comme la
main. L’unique taverne de l’endroit, la pension Artemisi, la surplombe,
ouverte en terrasse sur une profusion de géraniums et de cette variété
de tournesols nains qu’on ne voit qu’ici. »
Son sens de l’observation et sa facilité à entrer dans le paysage
pour s’imprégner des multiples indices et bruissements de vie qui s’y
nichent font de lui un flâneur désireux d’avancer en ayant les sens en
constant état d’alerte. La force de ses carnets réside ensuite dans sa façon de convoquer les mots justes en trouvant le tempo adéquat pour
embarquer le lecteur dans son périple. Il n’use pour cela d’aucun
artifice. L’érudition calme (née d’une insatiable curiosité), sa
capacité à puiser avec simplicité dans les potentialités d’une langue
bien maîtrisée et sa propension à revivre en tel ou tel endroit des
sensations identiques à celles ressenties ailleurs lui permettent de
vagabonder en faisant en sorte qu’une partie de lui-même puisse, de
temps à autre, larguer les amarres et se revitaliser en piochant dans de
plus anciens voyages.
« Cette dernière nuit, j’ai trouvé à la taverne Delfini, un petit vin
maison, aigre et frais, citronné, acide, étrangement clair aussi car
souvent les breuvages qu’on débite au tonneau sont troubles comme les
vins verts à peine filtrés des vieux quartiers de Porto. D’abord, j’ai
pensé au portrait de Duchamp tel qu’André Breton l’a décrit, « l’esprit
sec comme du vin de Sancerre », et puis j’ai pensé à Roger Judrin,
laissé là-bas il y a un mois au saut du train. »
Ce qu’il note d’Icaria, page à page, chacune d’elles s’attachant, au
fil des carnets, à percevoir la réalité et les particularités de
l’île, va du paysage (ou plutôt des paysages, tant ceux-ci bougent et se
transforment selon l’endroit d’où on en perçoit reliefs et luminosité)
aux habitants des lieux en passant par les bestioles marines (poulpes,
buccins) ou terrestres (le chœur très matinal des cigales) et par les
saveurs gustatives locales (ouzo, fromage, beignets d’épinards,
berlingots frits aux herbes et petites rascasses grillées). Il n’oublie
pas plus le meltem, ce vent dynamique et un peu fou qui alimente la
violence des déferlantes que le blanc si particulier de la chaux avec
laquelle la lumière se sent en harmonie.
« Ici, à Icaria, tout est nuance. Au concentré cycladique s’oppose
une sorte de profusion légère, volatile, comme si l’esprit du lieu avait
disséminé, s’était dilué dans cette vapeur qui fait trembler un paysage
qu’on a toujours l’impression d’avoir déjà vu quelque part. Car ces
vignobles en terrasses, ces champs d’oliviers, ces contrepoints de
collines et de couleurs on les trouve aussi bien en Toscane qu’en
Catalogne, en Provence ou dans l’arrière-pays de Nice. Icaria est
méditerranéenne. »
Poursuivant son escapade dans les « îles blanches », Marc Le Gros
se rend également à Tinos, à Amorgos et à Patmos. Alternant poèmes et
proses courtes, il y note ses émotions, se repasse quelques extraits de
lectures, revoit un tableau ou une gravure et les intègre à ses
découvertes du moment. Sa quête, calme, sensible et précise, le porte là
où l’étonnement a, le temps d’une immersion intense, vocation à
devenir seconde nature.
Marc Le Gros : Icaria et autres lieux, éditions L’escampette.
Marc Le Gros : Icaria et autres lieux, éditions L’escampette.
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