vendredi 12 juillet 2013

Icaria & autres lieux

C’est dans le village de Nas, sur l’île d’Icaria, en mer Égée, que Marc Le Gros s’installe pour reprendre contact avec les routes, les criques, les pinèdes, les chemins abrupts ou les terrasses bien étagées qu’il redécouvre à chacune de ses escales. Dès qu’il quitte le navire de la ligne Egéion Samos, après avoir jeté « un regard distrait sur la vieille taverne bleue d’Aghios Kirikos », c’est pour prendre la direction d’Armenistis et rejoindre à la hâte son lieu de villégiature.

« À vrai dire Nas n’est qu’une simple crique à peine large comme la main. L’unique taverne de l’endroit, la pension Artemisi, la surplombe, ouverte en terrasse sur une profusion de géraniums et de cette variété de tournesols nains qu’on ne voit qu’ici. »

Son sens de l’observation et sa facilité à entrer dans le paysage pour s’imprégner des multiples indices et bruissements de vie qui s’y nichent font de lui un flâneur désireux d’avancer en ayant les sens en constant état d’alerte. La force de ses carnets réside ensuite dans sa façon de convoquer  les mots justes en trouvant le tempo adéquat pour embarquer le lecteur dans son périple. Il n’use pour cela d’aucun artifice. L’érudition calme (née d’une insatiable curiosité), sa capacité à puiser avec simplicité dans les potentialités d’une langue bien maîtrisée et sa propension à revivre en tel ou tel endroit des sensations identiques à celles ressenties ailleurs lui permettent de vagabonder en faisant en sorte qu’une partie de lui-même puisse, de temps à autre, larguer les amarres et se revitaliser en piochant dans de plus anciens voyages.

« Cette dernière nuit, j’ai trouvé à la taverne Delfini, un petit vin maison, aigre et frais, citronné, acide, étrangement clair aussi car souvent les breuvages qu’on débite au tonneau sont troubles comme les vins verts à peine filtrés des vieux quartiers de Porto. D’abord, j’ai pensé au portrait de Duchamp tel qu’André Breton l’a décrit, « l’esprit sec comme du vin de Sancerre », et puis j’ai pensé à Roger Judrin, laissé là-bas il y a un mois au saut du train. »

Ce qu’il note d’Icaria, page à page, chacune d’elles s’attachant, au fil des carnets, à percevoir la réalité et les particularités de l’île, va du paysage (ou plutôt des paysages, tant ceux-ci bougent et se transforment selon l’endroit d’où on en perçoit reliefs et luminosité) aux habitants des lieux en passant par les bestioles marines (poulpes, buccins) ou terrestres (le chœur très matinal des cigales) et par les saveurs gustatives locales (ouzo, fromage, beignets d’épinards, berlingots frits aux herbes et petites rascasses grillées). Il n’oublie pas plus le meltem, ce vent dynamique et un peu fou qui alimente la violence des déferlantes que le blanc si particulier de la chaux avec laquelle la lumière se sent en harmonie.

« Ici, à Icaria, tout est nuance. Au concentré cycladique s’oppose une sorte de profusion légère, volatile, comme si l’esprit du lieu avait disséminé, s’était dilué dans cette vapeur qui fait trembler un paysage qu’on a toujours l’impression d’avoir déjà vu quelque part. Car ces vignobles en terrasses, ces champs d’oliviers, ces contrepoints de collines et de couleurs on les trouve aussi bien en Toscane qu’en Catalogne, en Provence ou dans l’arrière-pays de Nice. Icaria est méditerranéenne. »

Poursuivant son escapade dans les « îles blanches », Marc Le Gros se rend également à Tinos, à Amorgos et à Patmos. Alternant poèmes et proses courtes, il y note ses émotions, se repasse quelques extraits de lectures, revoit un tableau ou une gravure et les intègre à ses découvertes du moment. Sa quête, calme, sensible et précise, le porte là où l’étonnement a, le temps d’une immersion intense, vocation à devenir seconde nature.

Marc Le Gros : Icaria et autres lieux, éditions L’escampette.


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