Il ausculte sa mémoire. Revient sur ses vingt, trente ans. À cet âge où
il changeait fréquemment de travail. Il fouille, tire sur un ruban puis
sur un autre. N’a pas à sonder bien profond. Tout est resté à fleur de
peau. Les scènes rappliquent par saccades. Les gestes, les outils, leur
maniement, les habitudes et les réflexes huilent la mécanique du corps.
Sa fatigue, il l’atténue grâce à une saine désinvolture qu’il partage
avec ses camarades d’infortune. À l’atelier ou sur une dalle de béton,
sur un échafaudage ou derrière un bar, ou encore sur une mobylette
postale aux sacoches bourrées jusqu’à la gueule en faisant gaffe au
chien du n°17 qui bave et exhibe ses canines quand il passe pétaradant.
Les poèmes d’Hervé Bougel possèdent cette verticalité qui les fait
tenir (debout) sur le côté gauche de la page. Fragiles, ils y trouvent
leur équilibre et leur cadence. Ils sont construits en vers brefs,
incisifs, rythmés et percutants. Ce que la mémoire retrouve y est
inscrit, le mot juste tombe impeccablement à la bonne place, sans
esbroufe et sans besoin de séduire. Le monde ouvrier se dit avec
simplicité et efficacité. Le texte est direct et narratif. Çà et là, des
portraits saisis sur le vif défilent, tous remis en selle et en scène
par celui qui restitue des fragments de leur parcours de façon quasi
manuelle.
« Dans la rue des jardins
Chez cette autre femme
J’entrais
Les murs étaient
Jaunards
Baveux
De crasse noire
Je ne vois plus
Mes yeux sont morts
Me disait-elle
Qui sait
Mon fils viendra
Ce soir
Apporter le dîner »
Chez cette autre femme
J’entrais
Les murs étaient
Jaunards
Baveux
De crasse noire
Je ne vois plus
Mes yeux sont morts
Me disait-elle
Qui sait
Mon fils viendra
Ce soir
Apporter le dîner »
L’autobiographie est constamment traversée – et enrichie – par les
gestes, les paroles, les souvenirs et les différentes perceptions de la
réalité. Employés et patrons s’y côtoient.
Petits chefs et lèche-bottes également. Qui ne peuvent rien contre
l’inaltérable soif de liberté de celui qui bosse un temps avec eux puis
s’en va découvrir ailleurs (toujours du côté de Grenoble et de ses
environs) d’autres décors, personnages, outils, machines et règlements.
« Quand vint le patron
Silvère de son prénom
À la fin de l’après-midi
La nuit tombait
Comme du verre cassé
Il me darda
De son œil rond
De bête marine
À écailles froides
Et Hocine
Dit Daniel
Lui parla
Et lui dit
Je le connais
Ce type-là
Et je l’ai embauché
Ainsi longtemps
Je lavai verres
Assiettes et couverts
À la maison dorée. »
Silvère de son prénom
À la fin de l’après-midi
La nuit tombait
Comme du verre cassé
Il me darda
De son œil rond
De bête marine
À écailles froides
Et Hocine
Dit Daniel
Lui parla
Et lui dit
Je le connais
Ce type-là
Et je l’ai embauché
Ainsi longtemps
Je lavai verres
Assiettes et couverts
À la maison dorée. »
Travails poursuit avec minutie et réalisme ce qu’Hervé Bougel avait déjà entrepris avec Les Pommarins,
livre (Les Carnets du dessert de lune, 2008) dans lequel il revenait,
par séquences, en de courtes proses narratives et souvent cinglantes,
sur ses années d’usine.
Hervé Bougel : Travails suivi de Arrache-les-Carreaux, Éditions Les Carnets du dessert de lune.
On peut retrouver Hervé Bougel ici et là.
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