Si Terre sienne a été écrit en « regardant intensément »,
comme le note en fin de volume Yves di Manno, des peintures destinées à
trouver place dans un livre peint de Mathias Pérez, il n’en demeure pas
moins poème autonome, apte (après avoir pris corps) à tenir et à avancer
de page en page en délimitant son propre espace. Il bouge en même temps
que le regard. Il semble se placer alternativement dedans et dehors,
glissant « du noir au vert », tour à tour à l’abri (précaire) d’une
vitre cassée et au contact d’éléments soumis à de grandes turbulences.
« (ce qu’on voit à travers
n’est pas le pré
déterminé ni le ciel
à l’envers, l’étendue
d’ombre bleue surplombant
les corps couchés
dans la nuit verte) »
Ce qui a lieu dans les tableaux comme dans le poème apparaît sombre
et douloureux. S’y dessinent un décor, un paysage, des lumières basses,
des corps pris dans la glaise... D’autres détails encore, plus secs,
plus rudes, disent qu’il y a là entailles et coutures, désolation et
désir de réparation.
« comme un besoin de la
meute ignorée
froissant le rideau
des fourrés, abandonnant
à l’humus, à la glaise
les corps aux torses
lacérés »
Yves di Manno ne s’imprègne pas seulement de l’œuvre du peintre.
Il y ajoute une implication physique et sensitive qui lui permet de
toucher de près la rugosité d’un trait de pinceau, la brusquerie d’un
geste bref, l’épaisseur de la matière, la place infime des êtres perdus
entre ciel et sol ou la légèreté apaisante du vent dans les herbes
folles. Conçu en deux volets (terre et sienne), « ce-livre-ce poème »,
s’empare de la page pour que s’y impriment les différentes nuances d’un
paysage habité, vu, senti, ressenti par celui qui, inévitablement relié
aux champs, au pré, à la terre, ne s’y absente que pour mieux y
revenir.
« langue de terre
(sienne)
s’avançant dans la nuit
dont j’émerge
chaque jour ayant dû
ignorer le corps
qui la signe...
Yves di Manno : Terre sienne, éditions Isabelle Sauvage (Coat Malguen – 29410 Plounéour-Ménez).
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