Pas de mer d’huile, de calme plat, de pot-au-noir dans la poésie d’Henri
Droguet. Mais des bourrasques, des vacarmes d’air et de vagues, des
avis de grand frais et des dépressions nées dans les creux de la mer
d’Irlande ou du golfe de Gascogne. Et le vent brusque qui va avec, qui
balaie tout sur son passage, qui hurle aux fenêtres, qui s’immisce sous
les ardoises, qui profite de la nuit pour se faire les crocs, qui
souffle en rafales, qui alimente l’incessant tumulte du dehors et qui
demande au poète de dénicher en lui les mots justes, rêches, bien
aiguisés, râpeux, raclés, rincés s’il veut rendre compte du
tonitruant charivari sans oublier les torgnoles salées, les ciels
déchirés et les balises hurlantes.
« ça danse foudre aux yeux
pinceau du jour souple et véloce à la gambade
ça fauche aussi à tout petits crocs
ça herse ça dé visage ou figure ça rit
ça bousille les gisements feuilletages
la papeterie fourragère des nuits
(houille blanche & noire) estampé fourbi
papiers chinois chinés déramés
fouillis à tranchées boyaux labyrinthes »
pinceau du jour souple et véloce à la gambade
ça fauche aussi à tout petits crocs
ça herse ça dé visage ou figure ça rit
ça bousille les gisements feuilletages
la papeterie fourragère des nuits
(houille blanche & noire) estampé fourbi
papiers chinois chinés déramés
fouillis à tranchées boyaux labyrinthes »
Ça cogne à mains nues. Des uppercuts chargés d’iode et d’écume,
portés sur le ring des mots par quelqu’un qui sait détecter leurs
secrets sonores et se servir de leur potentialité physique et musicale
en les associant au mieux. Ils peuvent alors craquer, gémir, gicler,
vibrer hors de leur corps et atteindre des zones sensibles qui
produisent fragrance, chant et choc. Il y a de l’esquive dans l’air, des
sautillements près des cordes mais pas de mise au tapis ou de jet
d’éponge.
« une pluie perdue dans l’amont
disloque un batardeau pointille
un chemin traversier rempaille
dépareille et retouche les houles
et les saumures au ciel quasi tartare
la broue songeuse
imbibe les spongieuses sphaignes »
disloque un batardeau pointille
un chemin traversier rempaille
dépareille et retouche les houles
et les saumures au ciel quasi tartare
la broue songeuse
imbibe les spongieuses sphaignes »
L’allitération, maniée avec entrain, ouvre la voie à de discrètes et
très efficaces alchimies, toutes liées au plaisir de pétrir la langue en
s’en emparant totalement. Cela aide à dire la force inouïe des
éléments. C’est dans ces nœuds serrés qu’ils inventent, dans leurs
parages toniques et tonitruants que naissent les poèmes d’Henri Droguet.
Chez lui, la mer est tout aussi présente que les nuages et le vent. Il
ajuste son vocabulaire en fonction de la météo quotidienne et de la
perception intérieure qu’il en a, il emprunte au lexique marin, croche
les mots, trouve le bon adjectif et le verbe adéquat et donne à tout
cela une intensité et un flux formidables. Quel souffle ! Il marche
vite, se rapproche du Gulf Stream, laisse Saint Malo (où il vit)
derrière lui, fonce, caresse les morsures, date tous ses textes et les
déroule, selon l’humeur et l’ironie du jour.
« Je n’écris pas de poésie figurative, je défigure et c’est du
tohu-bohu élémentaire et verbal que je mets en espace, en musique, en
crise, en désordre, que je bricole avec ma caisse à outils. Il y a un
piéton anonyme, une figure nomade et bancroche en marche dans les nuits
dévorées dévorantes, sous les mansardes des cieux en bataille ; la mer
bossue s’affuble et se démène ; une étoile fume ; les pluies picotent un
lièvre, des schistes, un deltaplane ; la forêt sent le bétail bleu et
le poumon froid. »
Henri Droguet : Maintenant ou jamais, éditions Belin.
Henri Droguet : Maintenant ou jamais, éditions Belin.
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