lundi 2 décembre 2013

Maintenant ou jamais

Pas de mer d’huile, de calme plat, de pot-au-noir dans la poésie d’Henri Droguet. Mais des bourrasques, des vacarmes d’air et de vagues, des avis de grand frais et des dépressions nées dans les creux de la mer d’Irlande ou du golfe de Gascogne. Et le vent brusque qui va avec, qui balaie tout sur son passage, qui hurle aux fenêtres, qui s’immisce sous les ardoises, qui profite de la nuit pour se faire les crocs, qui souffle en rafales, qui alimente l’incessant tumulte du dehors et qui demande au poète de dénicher en lui les mots justes, rêches, bien aiguisés, râpeux, raclés, rincés s’il veut rendre compte du tonitruant charivari sans oublier les torgnoles salées, les ciels déchirés et les balises hurlantes.

« ça danse foudre aux yeux
pinceau du jour souple et véloce à la gambade
ça fauche aussi à tout petits crocs
ça herse ça dé visage ou figure ça rit
ça bousille les gisements feuilletages
la papeterie fourragère des nuits
(houille blanche & noire) estampé fourbi
papiers chinois chinés déramés
fouillis à tranchées boyaux labyrinthes »

Ça cogne à mains nues. Des uppercuts chargés d’iode et d’écume, portés sur le ring des mots par quelqu’un qui sait détecter leurs secrets sonores et se servir de leur potentialité physique et musicale en les associant au mieux. Ils peuvent alors craquer, gémir, gicler, vibrer hors de leur corps et atteindre des zones sensibles qui produisent fragrance, chant et choc. Il y a de l’esquive dans l’air, des sautillements près des cordes mais pas de mise au tapis ou de jet d’éponge.

« une pluie perdue dans l’amont
disloque un batardeau pointille
un chemin traversier rempaille
dépareille et retouche les houles
et les saumures au ciel quasi tartare
la broue songeuse
imbibe les spongieuses sphaignes »

L’allitération, maniée avec entrain, ouvre la voie à de discrètes et très efficaces alchimies, toutes liées au plaisir de pétrir la langue en s’en emparant totalement. Cela aide à dire la force inouïe des éléments. C’est dans ces nœuds serrés qu’ils inventent, dans leurs parages toniques et tonitruants que naissent les poèmes d’Henri Droguet. Chez lui, la mer est tout aussi présente que les nuages et le vent. Il ajuste son vocabulaire en fonction de la météo quotidienne et de la perception intérieure qu’il en a, il emprunte au lexique marin, croche les mots, trouve le bon adjectif et le verbe adéquat et donne à tout cela une intensité et un flux formidables. Quel souffle ! Il marche vite, se rapproche du Gulf Stream, laisse Saint Malo (où il vit) derrière lui, fonce, caresse les morsures, date tous ses textes et les déroule, selon l’humeur et l’ironie du jour.

« Je n’écris pas de poésie figurative, je défigure et c’est du tohu-bohu élémentaire et verbal que je mets en espace, en musique, en crise, en désordre, que je bricole avec ma caisse à outils. Il y a un piéton anonyme, une figure nomade et bancroche en marche dans les nuits dévorées dévorantes, sous les mansardes des cieux en bataille ; la mer bossue s’affuble et se démène ; une étoile fume ; les pluies picotent un lièvre, des schistes, un deltaplane ; la forêt sent le bétail bleu et le poumon froid. »

 Henri Droguet : Maintenant ou jamais, éditions Belin.


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