Pour qui ne connaît pas le nom de celui qui donne son titre au livre de
Ludovic Degroote, il suffit de lire les premiers fragments pour en
savoir un peu plus. On apprend d’abord que cet homme, qui n’a rien d’un
suicidé en devenir, se place pourtant, là où il intervient, « dans la
possibilité de sa mort ». Ce n’est pas un fou, pas un illuminé, pas un
mystique.
« Ce n’est qu’un homme, comme vous et moi, qui aime la vie, mange,
boit, a une famille, des amis, des goûts, des dégoûts, qui pense à hier
ou à demain, et se prépare autant qu’il peut à ce qui deviendra le
présent »
C’est cette façon d’aller à la rencontre du présent, puis de le
partager, en le modulant, en le saisissant, en l’immobilisant parfois et
en le faisant vibrer différemment chez les uns et les autres, selon la
puissance émotionnelle ressentie, qui a, le 16 septembre 2012, subjugué
celui qui tente ici de réactiver ce qu’il a vécu.
Ce jour-là, José Tomás combat dans les arènes de Nîmes contre six
toros venus de six ganaderias différentes. La foule est au rendez-vous.
Et le temps, pour tous, semble suspendu. Il n’y a sur scène que le toro
et le torero. C’est le travail de ce dernier qui fascine Ludovic
Degroote. Ses séries de passes et l’art avec lequel il parvient à
maîtriser la situation en y instillant intuition, gestuelle, habileté et
exigence l’amènent à s’interroger sur ce qui peut rapprocher le torero
(qu’il suit) et le poète (qu’il est).
« Ce qui a été incroyable ce dimanche-là, c’est que josé tomás a
templé toutes ses passes, comme on écrirait un poème ou un ensemble de
poèmes qui se tiendraient constamment sur un fil invisible qui ferait de
chaque vers et de chaque série de vers un moment unique, sans qu’ils
s’affaiblissent l’un l’autre »
La concentration du torero est absolue. Rien ne vient la troubler. Il
évite naturellement les facilités qui pourraient le porter vers un
laisser-aller susceptible de lui attirer l’approbation du public. Il n’a
pas un geste pour se faire valoir. Respecte trop son art pour basculer
dans un exercice qui tendrait à montrer, démontrer, son savoir-faire.
Voilà une attitude qui incite à la réflexion.
« avec une certaine expérience, on sait ce qu’on sait faire : on peut
s’y complaire : c’est une forme de sécurité, d’assurance,
d’embourgeoisement : on peut d’ailleurs le faire, et bien le refaire,
(…), de grands poètes actuels, je veux dire des poètes grandement
reconnus, s’installent dans cette bouée : ils y sont bien, elle leur
garantit confort et visibilité : ils passent et repassent, on y est
habitué, ils font partie du bord de mer, on ne les voit plus »
L’aisance, la singularité et la force intérieure qui habitent José
Tomás l’amènent (au contraire des poètes prévisibles) là où on ne
l’attend pas. On ne perçoit, dans son attitude, ni faille ni
faiblesse. Ce sont ces enchaînements de passes, l’addition de ces
fragments, de ces morceaux d’instants faits de simplicité, d’étonnement
et d’évidence, que Ludovic Degroote souhaite également sentir dans tout poème.
Ludovic Degroote : José Tomás, éditions Unes.
Ludovic Degroote : José Tomás, éditions Unes.
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