Lire Isabelle Flaten, c’est d’abord entrer en contact avec une écriture
souple et harmonieuse, maintenue en permanence sur une fine ligne de
crête grâce à un phrasé ample, régulier, tout en volupté. Chaque mot
tombe juste. Il est précis et prompt à s’emboîter aux autres pour
participer à l’implacable mise en place du roman. Celui-ci est
traversé par le poids des culpabilités qui plombent les retrouvailles
d’un homme et d’une femme contraints de s’avouer leurs lâchetés
respectives avant d’envisager une vie commune. Les non-dits qu’ils
traînent dans leur sillage sentent le soufre. Entre eux plane l’ombre de
Tom, l’absent, le mort (suicidé au fond d’un puits) que tous deux
pensent avoir anéanti le même soir, à distance, et en quelques secondes,
par l’incroyable dureté de leurs propos. Ils ne regrettent pas
vraiment sa disparition mais plutôt leur implication directe et les
répliques qu’ils n’avaient pas imaginées à l’époque. Elles surviennent
quand ils décident de former enfin ce couple qu’ils n’avaient pas réussi
à construire au temps de leur jeunesse. Il faut composer avec les
soubresauts de la mémoire. Et la leur est particulièrement chargée.
« Tom réapparaît au coin d’une rue, l’homme manquant, planté dans les
esprits comme une rengaine brouillée, un refrain aux notes ambiguës
bégayées du bout des lèvres lorsqu’elle passe sous les regards suspendus
du village. »
Le livre est construit tel un triptyque. On suit tour à tour chacun
des protagonistes dans son quotidien et son passé avant de les retrouver
ensemble dans la dernière partie du roman. Ces deux-là s’accrochent
avec l’énergie du désespoir à la dernière branche d’un arbre qu’ils ont
patiemment émondé. Ils ont à leur actif une belle série de ratages. Et
en prime ce maudit mort qui continue de squatter leur conscience.
« Personne ne le pleure mais tout le monde est incommodé par son linceul. »
Ce sont ces accrocs, ces failles, ces faiblesses qu’Isabelle Flaten
réussit à toucher avec précision. Elle le fait en restant à distance de
ses personnages, sans éprouver la moindre empathie pour eux. Il est vrai
que ce ne sont pas des tendres. Elle ne les plaint pas. Mais elle les
suit à la trace, elle les montre avançant en aveugle, pris dans les
méandres fragiles de leur histoire intime et douloureuse.
Les noces incertaines est le troisième livre d’Isabelle
Flaten. Il est accompagné (comme toujours chez Le Réalgar) par une série
de peintures (des paysages saisis derrière la vitre d’un train) de
Jean-Luc Brignola.
Isabelle Flaten : Les noces incertaines, peintures de Jean-Luc Brignola, éditions Le Réalgar.
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