La famille Auriaba n’est pas née de la dernière pluie. Le premier à se
faire connaître (un certain Ulysse Isidore Bioulbex) a vu le jour à
Oualidia, sur la côte marocaine, le 20 octobre 1854. À la même date,
Alphonse Allais et Arthur Rimbaud poussaient en France leurs premiers
cris. L’histoire de ces trois-là va d’ailleurs, un temps, s’entremêler
mais ce n’est pas vraiment sur elle que repose le roman de Jérôme
Lafargue. Ce sont les descendants du dénommé Bouilbex qui se retrouvent
sur le devant de la scène. Et ce d’autant qu’ils doivent affronter, à
l’automne 2014, un épisode de vie très agité.
Le plus jeune d’entre eux, le petit Aupwean, dix ans, dont le père
militaire est mort il y a peu (il a sauté sur une mine), a fugué et a
été retrouvé inanimé au cœur de la forêt landaise. Tandis qu’il se remet
lentement, son oncle Archibald, le narrateur de ce texte, accompagné
d’un robuste taiseux, un franco-colombien surnommé La Serpe, bat la
campagne pour tenter de capturer un énigmatique coureur de fond (à deux
ou quatre pattes : on ne le saura que plus tard) sur la piste duquel
sont également lancées police et milice locales.
Ce qui est sûr, c’est que l’escapade inattendue du dernier des
Auriaba a ouvert une brèche dans la vie et l’imaginaire de ses proches.
Qui s’y sont engouffrés avec avidité. Elle ravive de vieilles tensions.
Ramène en surface des événements plus ou moins récents. Réactive des
rêves qui circulent et passent d’un membre à l’autre de la famille (où
tous les hommes ont un prénom qui débute par la lettre a) en enjambant
l’espace et le temps en un clin d’œil.
« Le rêve appartient avant tout à la nuit, certaines communautés le
considèrent comme un élément déterminant dans la conduite de leur bonne
fortune. Il devient une manière d’accéder à des sujets humains, à des
animaux ou à des esprits, et bien sûr aux multiples facettes de soi. »
Jérôme Lafargue mène son roman en jouant sur la force du rêve et sur
les multiples possibilités qu’il offre à ses personnages. Il n’est pas
rare de surprendre morts et vivants se rabibochant lors de nuits plus ou
moins tourmentées. Il s’appuie sur eux tout en avançant sur trois
fronts à la fois. L’un a trait à la traque en cours. Le deuxième tourne
autour de la généalogie très décimée d’Archibald et le dernier met en
place la personnalité en devenir du gamin de dix ans qui semble avoir
reçu en héritage les fragments d’une histoire particulièrement chargée.
Transmises par ses ancêtres, solitaires, rebelles, surfant sur terre ou
sur mer, tutoyant le chamanisme, s’acoquinant volontiers avec les
loups, il lui faudra bientôt composer avec les rudesses du passé en
prenant garde de ne pas s’y laisser happer. Cela ne se fera pas sans
obstacles. De nouvelles aventures et épreuves l’attendent. L’étonnante
fin du roman précise qu’elles ne seront dévoilées que dans un livre à
venir. Et concoctées, à n’en pas douter, de main de maître par un Jérôme Lafargue
(toujours aussi affûté et en forme) qui n’hésite pas à sortir des
sentiers battus pour donner libre cours à un imaginaire virevoltant.
Jérôme Lafargue : En territoire Auriaba, Quidam éditeur.
Jérôme Lafargue : En territoire Auriaba, Quidam éditeur.
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