Il y a, en fil continu, dans ce recueil de poèmes de Jean-Christophe
Belleveaux, (construit à partir d'éléments issus d'une déconstruction / démolition de quelques uns de ses recueils précédents) de la hargne, de la colère, des nerfs à vif, de
l’impulsivité mais aussi une volonté de comprendre le mécanisme
inquiétant de ce trop-plein de
douleurs qui peut parfois modifier la perception de la réalité. Ces
risques, pour le moins perturbants, l’auteur les connaît mais ne veut (et sans doute ne peut)
pas les éviter. Il les traverse avec fougue en décidant de
se colleter le monde tel qu’il est : peu fiable, peu audible, en guerre,
affamé, grand dévoreur de vies.
« mettez donc un bémol à mon sang,
jaugez si vous pouvez : tout déborde,
à commencer par la langue
qui est elle-même au commencement. »
La langue, usuelle, qu’il adopte est tendue et directe. Aux abois, en
rupture d’artifice. Ne recherchant pas plus la métaphore que le jeu de
mots subtil. Elle est là pour dompter l’effet solitude tout en lui
laissant assez de champ pour dire avec réalisme ce qu’il advient d’un
homme qui se trouve debout sur une digue au moment même où celle-ci
s’écroule, quand tout autour les fondations s’affaissent, quand le monde
intérieur brûle aussi vite que celui du dehors, quand l’implosion
menace, quand le burn-out demande sa part de cendres... C’est à cela, à
cette déconstruction, bloc après bloc, d’un être qui ne se verrait
bientôt plus que sous forme de fantôme errant en divers lieux de la
planète que s’attache Jean-Christophe Belleveaux.
« je n’enflamme pas le coin
de la feuille de papier
je ne défenestre pas
mon envie de crier
j’aligne,
je fais avec. »
Si sa lucidité ne le rend pas plus serein, elle lui permet en revanche d’exprimer une souffrance légitime en la rattachant à celle des
autres, en la minimisant (face à l’innommable), en la détournant aussi,
en n’hésitant pas à se moquer de lui-même.
« ça s’effrite dedans, ça craque
et l’écriture jette ses oiseaux noirs
sur la page étale
vont finir par croasser idiotement
les mots »
On sent qu’il se tient à distance respectable du lyrisme. Celui-ci
pointe parfois sa truffe humide. C’est un chien sympa qui gambade loin
devant. Il n’est pas prêt à le suivre. Coupe court à ses élans. Et
coupe également chaque poème d’un coup sec, avec en bout de texte un dernier vers en
suspens qui évite la chute. Il choisit de rester concis et concret
jusque dans ses doutes, ses fissures, ses plaintes, ses tentations
extrêmes. Ne pas mollir, et ne pas, non plus, se démolir, l’aident
assurément à aller de l’avant. Ce livre l’atteste.
Jean-Christophe Belleveaux : Démolition, illustrations Yves Budin, Les Carnets du Dessert de Lune.
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