Notre
première rencontre se fit à Romillé, en octobre 1983, dans
l'atelier de Yves Prié, éditions Folle Avoine, chez qui Michel
Dugué venait de publier Une escorte très nue. Nous avons,
ce jour-là, peu échangé mais assez toutefois pour convenir d'un
prochain rendez-vous. Celui-ci eut lieu à Rennes, au bar Le
Saint-Just. J'avais auparavant lu son livre, découvrant une
écriture que je n'avais pas l'habitude de côtoyer. Elle était
sobre, précise, ciselée. Elle laissait de côté le lyrisme. Elle
ne cherchait pas à séduire. Et pas plus à s'inscrire dans l'air du
temps. Elle s'ancrait dans des paysages qui m'étaient familiers. En
bordure de mer, sous des ciels changeants, entre pierres et landes,
dans des lieux austères où sa mélancolie trouvait à s'aiguiser
et à s'effriter au contact d'éléments bien plus forts qu'elle.
Ce
bras-le-corps qui ne disait pas son nom, cette lutte à fleurets
mouchetés, cette confrontation qui ne pouvait jouer qu'en sa
défaveur s'il n'y mettait pas sa réflexion, son humilité, ses
instincts d'homme sensible, sa quête de sagesse et sa conscience de
ne fouler ces territoires millénaires qu'en marcheur éphémère
(en ombre passante) m'accompagnèrent tout au long de la lecture. Le
mot silence revenait avec régularité. Ce silence, il l'imaginait
blotti à l'intérieur des pierres. Ou porté par les vents sur l'île
d'en face, occupé à mâcher du ressac à longueur de temps.
« Mon
île ne règne pas,
sa
clarté n'est pas évidente,
d'une
lande elle a fait le monde
qui
bouge à la crête des eaux. » *
Cette
île, dont il me parla assez souvent, je ne devais la découvrir (son
nom, son rôle, ses reliefs, ses secrets) qu'un peu plus tard, en
lisant Un hiver de Bretagne, roman intensément habité,
prenant racine au plus profond d'un imaginaire collectif confronté à
une réalité on ne peut plus brute (l'échouage d'un supertanker sur
les côtes bretonnes et le désastre qui s'ensuivit), d'un bout à
l'autre porté par un souffle ample et soutenu que je ne soupçonnais
pas jusqu'alors chez lui.
Nos
rencontres n'ont jamais cessé. Presque toujours au bistrot. Où il
parle rarement de ses propres textes. Il préfère évoquer Georges
Haldas, Yves Elléouët ou Miguel Torga. Il n'élève pas la voix.
Il est posé, mesuré. S'adonne volontiers à la lenteur. Le discret
qu'il est, et qui ne s'épanche jamais, souhaite d'abord donner en
partage ses livres – qui sortent avec parcimonie, un tous les
six ou sept ans – et laisser le lecteur libre de cheminer à sa
convenance. À lui de ressentir, d'interpréter, de réfléchir et
de s'interroger en ne prenant en compte que le texte, et le texte
seul.
« C'est
ainsi
celui
qui regarde
ne
peut dire autre chose.
Notre
seul pouvoir, peut-être, est d'accompagner ce qui se répète. »
**
Il
cherche en permanence l'angle de vue adéquat et la bonne distance.
Sait qu'il est bon de se mettre en retrait. Et aime à l'occasion
s'effacer. Derrière les éléments, les êtres, la mer, la mémoire,
le paysage. Ce qui ne l'empêche pas d'exprimer, au contact du
dehors, ce qu'intérieurement il ne cesse d'explorer. Pour ne pas
succomber à ce satané fatalisme qui affleure parfois, pour capter
plus de lumière, pour trouver l'apaisement dans la continuité d'un
parcours qui est celui d'un être aux aguets qui entend garder pour
lui quelques uns de ses secrets.
**Le salut à l'hôte (Folle Avoine, 1989)
Vient de paraître : Spécial Michel Dugué, Encres Vives n° 445 (2 Allée des Allobroges 31770 Colomiers)
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