« Sa vie rencontre la mienne dans une sorte de fulgurance, le temps
d’un regard. Il est là, je suis là. Ma présence s’interroge dans la
sienne. Dans la solitude de toute vie, quoi qu’on dise, il est mon frère
d’un moment. »
Si « l’oiseau est réel », celui qui l’observe doit l’être aussi. Mais
comment en être si sûr ? Est-ce que l’imaginaire de l’auteur n’a pas,
une fois de plus, supplanté la réalité, au point d’en inventer une
autre ? Être présent physiquement, sentir le poids de son corps sur une
chaise, ne suffit pas à convaincre celui qui sait que la seule réponse à
ses interrogations réside dans la vitalité – ou pas – de ses sens.
« Je n’ai de contact avec la réalité que par mes sens tels qu’ils existent. Sans eux, pas de conscience. »
Il lui faut humer, toucher, entendre, goûter, voir, percevoir en
créant de discrètes correspondances entre tous ces sens qu’il entend
maintenir en parfait état de marche. Cela ne peut se faire sans un usage
régulier, et même constant, de ces incroyables atouts que la vie a mis à
sa (et à notre) disposition. Ceux-ci ouvrent des portes fabuleuses. Il
convient de trouver ensuite les mots adéquats pour transmettre ce que
l’on a trouvé de l’autre côté de ces frontières invisibles. L’exercice
est particulier et l’auteur de La vie privée des mots y excelle.
« Les mots jaillissent des mots, du fond de mon esprit, pour se
déployer en vagues successives ou qui se chevauchent, parfois se
dépassent, emportées par l’élan. Je les écoute. Je les regarde. Je les
touche. J’en goûte le sel par le mental. J’en respire en moi-même
l’écume. »
Alain Roussel
connaît le potentiel physique et sensuel des mots. Il apprécie leurs
sonorités, leurs couleurs, leurs odeurs. Il est également conscient de
leur faiblesse. Ils ne peuvent porter une pensée, une réflexion, une
émotion, une fiction, un poème qu’à condition d’être judicieusement
assemblés. C’est ce travail qu’il mène en permanence, avec simplicité,
lâchant volontiers la bride à ses phrases, autant pour s’amuser et
vibrer intensément que pour leur offrir un peu plus de champ libre. Son
imaginaire en effervescence se met alors à cavaler.
« Tout est possible. Ce n’est plus l’être des choses qui s’exprime, mais l’être des mots, avec sa liberté inouïe. »
Il tient à cette liberté et le prouve avec ce livre subtil, inventif,
intelligent et malicieux où il s’affirme bel et bien présent au monde,
en vie, et tout à fait décidé à le rester longtemps encore. Et à en
jouir jusqu’au bout.
Alain Roussel : Un soupçon de présence, éditions Le cadran ligné.
Alain Roussel : Un soupçon de présence, éditions Le cadran ligné.
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