Ce sont des mots simples, justes et précis. Qu’il a d’abord fallu
aller chercher dans les mémoires, puis assembler pour revenir sur des
faits que l’auteur n’a pas vécu mais dont il est néanmoins l’un des
dépositaires. Redonner voix à ceux qui ne l’ont plus (en l’occurrence
« elle et lui ») en remontant le temps en leur compagnie est sa mission
première.
« Elle (avalant une dernière fois sa salive) :
Où sommes-nous ?
Où sommes-nous ?
Lui (vide) :
Non loin du mur.
Non loin du mur.
Où est le mur ?
Ici et là.
Elle regarda.
Elle cria
(dans son ventre ou sa poitrine elle a crié – heurtée par sa mémoire). »
(dans son ventre ou sa poitrine elle a crié – heurtée par sa mémoire). »
C’est ainsi que débute le livre de Julien Bosc.
On perçoit, d’emblée, que ce commencement est en réalité synonyme de
fin pour ceux qu’il évoque. Il les fait dialoguer et aide à entrevoir ce
que « le miroir sans tain de la souvenance » n’a pas totalement réussi à
effacer. Quand celui-ci s’est brisé, il ne restait rien (si ce n’est
un filet de voix, un écho lointain) de ces deux corps démantibulés. Qui
avaient toutefois, auparavant, donné vie à ceux qui, de génération en
génération, porteraient, quoiqu’il arrive, cette souffrance en eux.
« Quelqu’un cette nuit écrit à partir d’une mémoire qui n’est pas la
sienne mais lui appartient cependant car par lui il nous est offert de
n’être plus oublié, puisqu’il vit dans notre souffrance. »
Cette souffrance n’est pas simplement décrite et portée : elle est
transcendée, expulsée, non pas oubliée (« comment pourrions-nous
oublier, où trouverions-nous le droit d’oublier ce que nous ne pouvons
raconter ? ») mais ciselée pour pouvoir enfin passer d’un corps (d’une
tête, d’une mémoire) à l’autre en devenant de plus en plus apaisée. Pour
se tenir droit, debout, sans trembler et sans ciller devant les
exterminateurs d’hier. Ou de demain.
Ce qui frappe dans ce livre (que l’on sent patiemment pensé, posé,
tissé), en plus de la douceur des voix qui s’expriment, c’est la
générosité de celui qui, souffrant avec les victimes – et notamment
celle, très proche, qui fut hospitalisée, bien des années plus tard,
suite à ces déflagrations à retardement – parvient, par ses mots, par sa
façon de toucher le paysage et par les dialogues (d’outre-vie) qu’il
instaure, à insérer une fragile humanité là où il n’y en avait
évidemment pas.
Julien Bosc : De la poussière sur vos cils, éditions La Tête à l’envers
Julien Bosc : De la poussière sur vos cils, éditions La Tête à l’envers
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