Elles viennent de loin ces voix détachées des êtres qui les portaient
tout en continuant pourtant d’émettre, à destination des vivants, des
messages (des plaintes, des cris, des souvenirs) qui lacèrent le
présent. Elles empêchent celle qui ne cesse de les entendre de trouver
ce calme auquel elle aspire.
« j’écris pour m’extraire de leurs songes
rejoindre les vivants »
rejoindre les vivants »
Se faufilant dans l’invisible, semant des chapelets de mots entre les
cailloux, sous la terre, dans l’eau des rivières, parfois même au fond
du puits qu’est devenu – à force d’encaisser – un corps anéanti par ce
trop-plein de paroles emmêlées, elles ne reconnaissent pas plus le jour
que la nuit et parlent en continu.
« la solitude connais pas n’ai jamais connu même au fond de mon corps lorsqu’il ressemble à un puits
la solitude j’en rêve quelquefois
ce serait reposant »
la solitude j’en rêve quelquefois
ce serait reposant »
Il faudrait, pour cela, que les morts (et porteurs de morts) payent
leur dû au silence, qu’ils acceptent de vivre ailleurs, qu’ils cessent
de tirer vers le bas – vers un passé révolu – ceux qui ont encore, pour
un temps, les pieds sur terre. Et si c’est trop leur demander, et
manifestement ça l’est, reste à trouver des subterfuges et à s’armer
pour ne pas sombrer sous leurs incessants coups de boutoir. C’est ce que
fait Françoise Ascal. Elle sait que ces voix qui la traversent
appartiennent à des êtres qui lui étaient chers (« ce sont mes bourreaux
/ mes aimés ») et qu’elle ne pourra les faire taire. Elle peut, par
contre, et c’est ce qu’elle met ici en place, détourner leur
trajectoire initiale, couper la route terre-chair, se saisir du moment
présent, se rapprocher du paysage qui bouge autour d’elle, tout en
nuances et en variations, pour atténuer leurs effets et leurs
incessants retours en arrière.
« loin de l’ocre éventré
loin des éclats métalliques abreuvant les sillons
loin des croix alignées blanches blanches à perte de vue »
loin des éclats métalliques abreuvant les sillons
loin des croix alignées blanches blanches à perte de vue »
Elle ouvre des brèches en elle. S’éprouve en quête de signes, de
sons, de sens. Note d’infimes bruissements de vie. Trouve et assemble
des mots simples. Eux aussi viennent de loin. Mais à la différence des
voix, ils sont capables de créer un équilibre fragile entre un corps
douloureux et une pensée qui aimerait s’apaiser, en un siècle qui (elle
le répète régulièrement) ne s’y prête guère.
« peut-être est-ce mon corps troué que je cherche à rejoindre dans la moindre faille »
Françoise Ascal : Des voix dans l’obscur, dessins de Gérard Titus-Carmel, éditions Aencrages.
Une présentation et un extrait de ce livre ainsi qu’un entretien
entre Françoise Ascal et Dominique Dussidour figurent, sur "remue.net", dans le Cahier
revue du mois de décembre. C’est à lire ici.
Un autre ouvrage de Françoise Ascal, Le fil de l’oubli, précédé de Noir Racine,
publié une première fois par les éditions Calligrammes en 1998, vient
d’être réédité (accompagné de monotypes de Marie Alloy) aux éditions Al Manar.
Vient également de paraître : Un bleu d'octobre, éditions Apogée.
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