C’est un monde bien réel – et on ne peut plus actuel – que traversent
les neuf personnages que suit ici, en autant de récits, Stéphane
Padovani. Chaque texte est introduit par un verbe (traduire, se noyer,
éclairer, brûler, garder) qui se retrouve immédiatement en prise directe
avec l’histoire (ou plutôt le fragment d’histoire) évoquée.
Tous ceux qui hantent ces pages sont des êtres touchés, fragiles,
esseulés, dérivant dans une Europe mal en point en cherchant de
nouveaux repères pour se poser et se reconstruire. Ils ont assez
d’expérience pour savoir qu’il est impossible de s’en sortir seul et
qu’aller à la rencontre des autres ne doit se faire sans solliciter,
en aparté, l’être créatif et secret qui vit en eux. Le caresser dans le
sens du rêve peut parfois apaiser les blessures d’un passé trop
prégnant et ouvrir les fenêtres d’un univers étrange et onirique avec, à
la clé, l’apparition fugitive de quelques fantômes.
La plupart d’entre eux sont des déracinés. Ils vivent à Athènes, à
Paris, à Prague ou à Lisbonne. Ont du mal à communiquer, tant à cause de
la langue que de leur façon de vivre. Mais il leur reste leur
inconscient, chargé de petites bombes à retardement, qui s’enclenche
souvent au quart de tour, générant des hallucinations en leur rappelant
certains épisodes d’un passé douloureux. Ainsi, tandis qu’autour
d’Athènes les arbres brûlent, un solitaire croit voir sa fille
(celle-là même qu’il avait laissée seule une nuit entière dans sa
voiture garée sur le parking d’un night-club, ce qui ne cesse
d’exacerber sa culpabilité) passer telle une torche, en un éclair, sous
ses yeux. À Paris, une femme (qui s’apprête à partir en mission au pôle
Sud) cherche une locataire (qu’elle paiera) pour que la mémoire et les
affaires de son fils, l’une des victimes du terroriste d’extrême-droite
Breivik, ne soient pas abandonnées en son absence. Ailleurs, une autre
croit reconnaître son frère à la télévision. Il vit sous une toile de
tente au bord d’un canal. Elle part, avec l’espoir de le récupérer, pour
une rencontre fictive qui aura lieu à l’endroit même où il s’est noyé
quinze ans plus tôt.
« Il était là, sur un banc, caché par le col dur de sa veste. Je
voyais des volutes s’élever au-dessus de lui. Il jetait du pain à un
couple de cygnes. Quand je me suis approchée, les cygnes se sont
éloignés. Ils sont remontés en amont vers des roseaux sauvages. Je me
suis assise près de lui en évitant de le toucher. »
Il ne faut pas plus d’une seconde à ces êtres déboussolés, en quête
de consolation, pour plonger en eux-mêmes. Ils en reçoivent des éclats
venus de la boîte noire où sont leurs souvenirs, basculent dans un
monde mystérieux et en ressortent portés par un impérieux besoin de
vivre, quelque soit la réalité. Ce passage rapide dans le fantastique
aide chacun des personnages de Stéphane Padovani
à poursuivre sa route. Ce ne sont pas des perdants. Et pas non plus des
battus d’avance. Et encore moins des victimes qui demanderaient que
l’on pleure sur leur sort. Ils gardent en eux assez de ressource
intérieure, qu’ils vont piocher dans un insoupçonné minerai intime ("ce
bleu du ciel" qui "est déjà en eux") pour transcender le présent.
Stéphane Padovani : Le bleu du ciel est déjà en eux, Quidam éditeur.
Stéphane Padovani : Le bleu du ciel est déjà en eux, Quidam éditeur.
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