Revoilà Jacques Mailloux, ce "flot" de sept, de quatre, de huit ou de douze, salué ici même
il y a dix ans, et qui revient nous dire qu’il n’en a pas fini avec ses
confessions éclatées. Il entend bien poursuivre, verser encore, en une
nouvelle édition, quelques unes de ses aventures épiques à notre
connaissance, lui le gamin frondeur et têtu qui avance en zigzag au gré
de son âge, coincé entre un père autoritaire (et néanmoins porté sur
la bibine) et une mère nerveuse qui crie, s’emporte, le rapetisse, en
fait la risée du village, et ce au seul motif qu’il a de sérieux
problèmes de robinetterie, s’oubliant en plein sommeil au point de
mouiller une paire de draps chaque nuit.
« Un pissou loge en ce lieu, disent-ils, cette maison est maudite.
Tes pensées les plus affreuses, Mère Mailloux, traversent l’espace et
tombent en phrases dans l’esprit de tous ceux qui dans le monde savent
entendre le grincement matinal et criard de ta corde à linge alors que
sont suspendus les draps maculés de ton fils pissou. »
De nombreux morceaux d’enfance lui restent en travers de la gorge.
Certains sont burlesques, d’autres pénibles et ténébreux. Le mieux, pour
s’en débarrasser, est encore de les revivre en repartant du début, en
ouvrant cette trentaine de tableaux (qui sont autant d’épisodes et de
chapitres courts) par celui où on le voit s’échapper d’un traîneau,
laisser ses parents en plan, et sa « mère monstre » crier, et son père
s’activer pour le déloger, à coups de pelle, de sous une voiture à l’arrêt
dans la neige.
« J’ai fait le mort. J’ai fait le mort et puis ç’a cessé d’être un
jeu, c’était trop long. Le père Mailloux m’a poussé du dessous du char à
l’aide d’une pelle, la mère Mailloux m’a cueilli de l’autre côté. Elle a
secoué la neige de mon habit, elle ne riait pas, le père Mailloux non
plus ne riait pas, on a regagné le traîneau, j’ai dormi le reste du
trajet. »
On le voit tour à tour seul dans la chambre de sa mère, ou en camp de
survie, ou perdu dans un grand magasin, ou tenant « une torche afin d’aider son
père », ou passant la nuit chez tante Génisse, ou encore perché dans un
arbre, ou bloqué dans "le char" familial sans chauffage en allant fêter
un Noël sous la neige chez son parrain. Autant d’aventures colorées et
hallucinées, transcrites avec fébrilité, toutes traversées par les aléas
dus à ce tuyau qui fuit et qui fait de lui une sorte de paria honteux
et solitaire.
« J’ai entendu le pire blond dire à des parents qui le visitaient,
dans l’intimité des rideaux beiges à ses parents qui le visitaient je
l’ai entendu dire que j’étais en face un Mailloux qui pissait dans la
nuit. Quand j’ai entendu ça, un soir, la mère et le père Mailloux se
tenaient auprès du lit où j’étais sur le dos, c’est entré dans leurs
oreilles avec la honte noire habituellement liée au sexe et à la mort,
la mère Mailloux s’est mise à pleurer. »
Ce qui porte haut l’épopée du "flot" Mailloux, en plus des contes
cruels ou désopilants qui s’y succèdent, c’est la langue du québécois Hervé Bouchard.
Elle est poétique, étirée, ponctuée d’expressions orales, finement
travaillée et dotée d’un souffle très tonique. Un flux extraordinaire
mis au service d’une langue inventive, imagée, immédiate et débridée
qui embarque le lecteur dans une série d’équipées haletantes.
Hervé Bouchard : Mailloux, Histoires de novembre et de juin, Le Nouvel Attila.
Hervé Bouchard : Mailloux, Histoires de novembre et de juin, Le Nouvel Attila.
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